PLACE AU DEBAT IDEOLOGIQUE AVEC LA LFI 

Il reste le débat de fond qu’il faut mener car nous ne sommes plus dans le campisme. Le clivage droite gauche, pour pertinent qu’il soit, a laissé place à une compétition à des offres multiples.

L’heure n’est plus aux synthèses souvent nécessaires dans le bipartisme. L’heure est aux thèses indispensables à de bons compromis pour gouverner. 

J’ai écrit « gouverner », car c’est bien l’enjeu. Prendre date pour les décennies futures présente peu d’intérêt pour nous ou pour nos contemporains. Et à long terme, « nous serons tous morts » disait à juste raison Keynes. 

Constatons qu’il est peu probable que l’unité puisse se faire sur les marges ou dans le flou d’une unité de façade car les deux positions ne rassurent pas le peuple de gauche. Il envoie plutôt le message que la gauche n’a ni but ni solutions praticables. Voilà pourquoi la gauche est à son plus bas niveau historique dans les sondages. 

Si les divergences sont plus sensibles avec la France insoumise, celles-ci ne peuvent se réduire à la légendaire mauvaise humeur de son leader. 

Tout commence pour lui, avec un ouvrage publié en 2010 « qu’ils s’en aillent tous ». C’est le manifeste du dégagisme et l’apparition du populisme de gauche. C’est la rupture de Mélenchon avec la doxa de la gauche qu’il a beaucoup pratiquée. Et même, avec celle de l’extrême gauche ou les organisations restent un mode de structuration - critiquable certes - mais incontournable. Là nous basculons dans autre chose. Il y a d’un côté le peuple porteur sain de la rédemption de l’humanité et de l’autre l’oligarchie et ses affidés. Cette assertion révèle, en elle-même, les raisons des difficultés de l’union. Mélenchon nous dit : « je suis l’orateur du peuple ». Et il le fait avec talent. Mais il ajoute, ce qui est moins plaisant : « vous êtes les représentants peu ou prou des élites qui trompent le peuple ». 

Débrouillez-vous avec cela ... ! L’unité ne peut donc se réaliser avec des partis comme le PCF, le PS, les RADICAUX, GÉNÉRATIONS.S, EELV qui sont à des degrés divers porteurs de l’idéologie de l’oligarchie dominante.

Ceux-ci représentent au bas mot 80 % de l’électorat de gauche. Atteindre la majorité, dans ces conditions, grâce à la seule France insoumise relève d’une mission impossible. Et c’est cette impasse qui est sanctionnée par les électeurs de Mélenchon de 2017. Eux, qui croyaient de bonne foi que le mélenchonisme ouvrait le chemin des lendemains qui chantent, sont déçus. 

J’entends bien que le raisonnement est électoraliste. Mais comme la France insoumise évoque la révolution par les urnes, il faut bien parler élection. Et il y a bien un désaccord de stratégie électorale. 

Pour la France insoumise, les partis de gauche, les syndicats, le mouvement associatif sont des collabos de l’ordre existant chargés de le perpétuer. Ils sont même plus dangereux que l’oligarchie elle-même, car ils trompent le peuple. On ne discute plus du bien-fondé de telle ou telle action ou position.  Mais on excommunie au nom d’un préjugé : « je dis ce que pense le peuple ». Mélenchon ira jusqu'au bout de cette démarche évoquant un « bloc élitaire » autour de Macron. Ce qu’il appelle la fusion des bourgeoisies, laissant à penser que le bloc populaire pouvait contenir les populistes des deux rives. Le Rassemblement national serait seulement des égarés. 

Le populisme de gauche surgit en 2008 dans un ouvrage d'Ernesto Laclau « la raison populiste ».

Chantal Mouffe, qui popularise la pensée de cet ancien militant des jeunes péronistes, la résume ainsi : « il définit le populisme comme un moyen de construire la politique qui consiste à établir une frontière politique séparant la société en deux camps, appelant à la mobilisation de ceux qui sont opprimés contre ceux qui sont au pouvoir. Cela est pertinent lorsqu'il s'agit de construire un nouveau sujet de l’action collective - le peuple- capable de reconfigurer un ordre social considéré comme injuste. Ce n’est pas une idéologie et ne peut pas être réduit à un contenu programmatique particulier ».

Tout est dit : peu importe ce qui bouge, tout est rouge ; peu importe la nature de la colère puisqu’elle est colère. Et vous comprendrez, ainsi, le refus de s’intéresser à ce que charriaient certaines franges des gilets jaunes. Vous comprendrez aussi les raisons du refus de condamner dans l’Islam ou chez les musulmans ceux qui sont des fanatiques de la foi contre la loi. Et vous comprendrez, enfin, les controverses sur la créolisation et sur la laïcité.

Tout est aussi dit dans le texte de Mouffe. Peu importe le contenu du programme, l’important c’est ce qui permet au peuple de se constituer en peuple. 

Et cette dernière de préciser « le but d’une politique démocratique est de transformer l’antagonisme potentiel en une agonistique ». 

Ce qui explique au passage l’agressivité. Elle n’est pas due à un caractère, même s’il est ombrageux, chez ces principaux leaders. L’agressivité procède de la nécessité de construire le peuple par l’arrachement symbolique à sa condition de soumission. Et le peuple, réputé soumis, a besoin d’une voix insoumise : l’orateur du peuple, instituteur de son devenir, construit ainsi son émancipation. Vous avez compris que le rôle de la France insoumise est donc de construire de l’antagonisme, pas de conquérir le pouvoir. C’est une stratégie de dénonciations, pas de conquête. 

Le reste suit, les désaccords aussi. Les formes institutionnelles de la gauche (hier le mouvement ouvrier) sont obsolètes. On ne peut s’allier avec eux sous quelque forme que ce soit. La démocratie parlementaire est pour LFI du même tonneau. Même si les parlementaires mélenchonistes conçoivent leur rôle non pour faire la loi mais pour la dénoncer au peuple. Le but du « combat » est une constituante d’élu.e.s révocables à chaque instant. Cette vision mystique d’un peuple organique recèle bien des dangers. En tout cas, en cette veille du centenaire du congrès de Tours 2021, il y a là pour nous un refus de la mise en cause de la démocratie parlementaire. Même si la Vème République n’est pas tout à fait un régime parlementaire. Quant aux questions économiques, elles sont balayées au profit d’une extension du domaine de l’État et de l’administration de l’économie. L’Europe est vécue comme un obstacle au souverainisme du peuple. Souverainisme porté parfois par Mélenchon, qui lui valut la seule pétition de contestations internes, à propos de sa formule sur les frontières au moment de l’annexion de la Crimée par la Russie. Formulation comprise à l’époque comme largement favorable à Poutine.

En ce domaine, le député apparenté France insoumise Ruffin n’y va pas de main morte. Il demande la fin de la libre circulation des hommes et des marchandises. Rien que cela. On peut être pour la permaculture, les circuits courts, sans pour autant interdire aux gens de passer les frontières. Ou être pour le juste échange sans interdire l’échange. 

Enfin, pour Mélenchon, le régime intérieur de la formation politique ne saurait être soumis à la démocrassouille petite bourgeoise des courants. Ce qui explique d’ailleurs que Mélenchon ne soumet pas sa candidature aux adhérents de la France insoumise.  Il demande symboliquement au peuple de la ratifier. On se souvient de la formule « Dis-moi comment fonctionne ton parti je te dirai comment tu fonctionneras au pouvoir ». En attendant, on ne compte plus les ruptures, les dénonciations, y compris chez les compagnons de la première heure du parti de gauche. On ne résiste pas à porter à votre connaissance cet échange devant la presse dans l’été 2017. Jean-Luc Mélenchon déclare : « Nous avons résolu tous les problèmes qui vont occuper les autres ; la question du leadership est résolue, la question de la stratégie est résolue » et Alexis Corbières de conclure « l’équipe dirigeante est en place contestée par personne ». Le tout sans débats ni vote. Le premier secrétaire du PS que je fus en est et en reste bouche bée. 

Il n'y a aucune raison que la gauche républicaine mette genou à terre devant de telles assertions. Elle se distingue en tout point du populisme de gauche.  Nous avons des désaccords majeurs sur la République, la laïcité, l’économie, l’Europe avec les Insoumis. 

Et ce n’est pas parce qu'il y a eu des erreurs faites au pouvoir, voire des renoncements, que nous devons baisser les yeux ou nous couvrir de cendres. Car la gauche au pouvoir a amélioré concrètement la vie des gens.  Même si elle n’a pas changé la totalité de leur vie. Le bilan est globalement positif si on le compare avec ce qui fut obtenu par la posture radicale.

C’est ici que s’oppose une stratégie de transformation par la loi, dans un espace public traversé par des intérêts sociaux contradictoires. Et le populisme de gauche, dont l’objectif n’est pas la transformation, mais d’ériger le peuple en sujet de l’histoire.  Nous pensons que ce dessein néglige l’amélioration de la vie des Français au nom d’un préjugé idéologique qui fait du peuple un bloc sans contradiction. Le gradualisme, c’est-à-dire la transformation concrète des situations concrètes, est congédié au nom de son absence de radicalité. Le compromis est même vécu par les insoumis comme le chloroforme de l’idéologie dominante

Négliger la nécessité de l’unité et de prendre le pouvoir contre la droite, du compromis pour changer la société, expose Jean-Luc Mélenchon à une contestation dans son propre espace de la radicalité. Il est évident, qu’à partir du moment où le but n’est que de témoigner, il y aura d’autres radicalités qui voudront, elles aussi, s’imposer. Les « féministes », les « racisé.e.s », les indigènes de la République, les gilets jaunes frappent déjà à la porte. Et Mélenchon va être contesté, car il y a toujours plus insoumis que soi. Mais bon, ce n’est pas notre sujet. 

Comprendre les ressorts de la France insoumise permet d’éviter deux attitudes aussi improductives qu’intempestives. Le mépris le sert et la soumission le construit. 

Mais nous ne saurions, pour autant, confondre le populisme de gauche et le national-populisme de l’extrême droite. Nous ne saurions, tout autant confondre cette idéologie et les électeurs et les militants qui, agacés par la situation faite au peuple, les inégalités, les injustices, les violences dues à la société libérale ou en colère vis-à-vis de la lenteur des transformations portées par la gauche républicaine, voient dans la France insoumise un moyen de bousculer le monde. 

Il ne s’agit pas de se soumettre mais d’être offensif sur une identité claire. Il s’agit de dire, avec constance, que nous sommes disponibles à l’union sur des propositions de gauche, réalistes, praticables et fiables. Tout est là !  Ce n’est pas à prendre ou à laisser.  Mais ce n’est pas à délaisser. Et de souligner que refuser de travailler à cette perspective, c’est le meilleur moyen de laisser le pouvoir à la droite et à l’extrême droite.

Mais pour pouvoir tenir ce discours sans trembler, il faut être soi-même défini. Je dirais même redéfini sur un nouvel axe celui du moment que l’on vit : j’ai proposé la République impartiale. Face au populisme de gauche, l’unité sans contour ne peut fonctionner. Mais le refus de l’envisager nous fait perdre une certaine centralité.

Et comme pour le PCF après 1977, à la veille de 1981, l’électorat s’apercevra que les proclamations radicales conduisent précisément au maintien de l’ordre existant, si celles-ci ne débouchent pas sur un projet concret de transformation.