ÇA RESTE ENTRE NOUS. Il a la politique dans le sang, et n’a pas fini d’en faire.
Rencontre avec « l’increvable » ex-patron du PS, entre parmentier d’agneau et coups politiques.
Par Michel Revol
Publié le 30/03/2024 à 08h00
L'ex-premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis prépare, avec d'autres, une candidature sociale-démocrate à la présidentielle de 2027.
Bistrot de Paris, on est un peu chez lui. Les serveurs en livrée de cette jolie brasserie proche du musée d'Orsay font presque une haie d'honneur à Jean-Christophe Cambadélis, qui déambule entre les tables avec sa nonchalance coutumière, élégamment vêtu d'un col roulé gris et d'une veste en velours côtelé bleu nuit, et toujours les cheveux fins lissés en arrière qui lui donnent un air de première gâchette dans Les Tontons flingueurs. « Bonjour M. Cambadélis, comme allez-vous ? » ; « Bonjour, M. Cambadélis, ça fait plaisir de vous revoir. »
L'ex-patron du PS n'est pas revenu depuis pas mal de temps au Bistrot de Paris. Il suffit pourtant de le lancer sur son histoire avec la brasserie, au moment du parmentier d'agneau agrémenté d'un verre de rosé, pour que « Camba » plisse les yeux, esquisse un sourire et raconte les fameux coups qu'il a préparés là, comme autant de jalons de l'histoire du PS.
L'arrière-cuisine du PS
Le Bistrot de Paris est d'abord la cantine du RPR, dont le siège est tout proche, dans la même rue de Lille. Puis les socialistes, installés rue de Solférino en 1980, l'investissent. « Camba » y a vite son rond de serviette, tout comme Lionel Jospin, Laurent Fabius (qui s'assied à la même table, au fond), Dominique Strauss-Kahn, Henri Emmanuelli ou encore Manuel Valls. Parfois le vieux gaulliste Pierre Mazeaud s'encanaille en déjeunant avec quelques huiles socialistes de ses amis. Mais c'est surtout dans les belles salles moquettées du premier étage que se fomentent à l'abri des regards quelques coups politiques.
Jean-Christophe Cambadélis est souvent là, puisqu'il en est l'un des organisateurs. Il raconte ces conciliabules en les dénombrant avec ses doigts. Un : les réunions préparatoires à la gauche plurielle de 1997. Elles ont lieu lors de dîners chaque mardi avec Dominique Voynet, Lionel Jospin, l'écolo Yves Cochet ou encore le communiste Philippe Herzog. Deux : la mise en orbite du courant Strauss-Kahn au début des années 2000. Un jour, alors qu'ils sont réunis dans la « salle du billard », les strauss-kahniens entendent des rires dans la salle contiguë. On colle l'oreille contre la cloison et on entend, ô surprise, les adversaires fabiusiens préparer, eux aussi, leur courant et le futur match contre DSK et Ségolène Royal… « On a dû attendre 16 heures pour sortir de notre salle en catimini », se marre « Camba ».
Trois : l'édification en 2007 des « reconstructeurs », cet attelage entre strauss-kahniens et fabiusiens pour contrer la montée en puissance de Ségolène Royal et préparer le retour de DSK en soutenant Martine Aubry. Quatre : il y a un an, un dîner secret avec François Hollande, Bernard Cazeneuve, Stéphane Le Foll, les maires de Vaulx-en-Velin (Hélène Geoffroy) et de Rouen (Nicolas Mayer-Rossignol), ou encore l'ex-patron de Libération, Laurent Joffrin. Les conspirateurs se mettent d'accord pour barrer la route à Jean-Luc Mélenchon, coupable à leurs yeux d'entraîner le PS dans un abîme de radicalité duquel il ne ressortira pas, ou mal. « On a décidé ce soir-là de monter une liste aux européennes si le PS signait un accord avec la Nupes pour ce scrutin. Cette menace, liée à la radicalisation de Mélenchon, a convaincu Olivier Faure qu'il fallait trouver une autre solution », veut croire Cambadélis.
Cinq (et dernier doigt et dernière réunion notable au Bistrot de Paris) : il y a quelques semaines, l'ex-député de Paris présente un copieux document issu du travail d'une centaine d'experts. Son club, Le Lab de la social-démocratie, entend « fonder » ce courant politique. « Je dis fonder et non refonder, car le PS n'a jamais été social-démocrate. Il a toujours dû prendre le PC par la gauche pour gagner les élections, ce qui a empêché la culture du compromis propre à la social-démocratie. Le Parti socialiste a été “rupturiste” avec Blum et Mitterrand, social-démocrate sans le dire avec Jospin, social-libéral sans l'accepter avec Hollande », analyse « Camba ».
À 72 ans, l'ex-président de l'Unef n'entend pas cesser de monter des combinaisons, parfois complexes au point d'égarer ses camarades. « Les gens me disent : “Mais tu es increvable !” », raconte ce miraculé, tombé à 7 ans d'un troisième étage sans trop de heurts. La politique est son moteur, qui le fait avancer depuis son entrée chez les lambertistes de l'OCI, où il côtoie son jumeau par l'âge, Jean-Luc Mélenchon. On se souvient d'un jour, il y a une quinzaine d'années de ça, il était arrivé au restaurant (La Cagouille, haut lieu des déjeuners mitterrandiens) avec le dessin d'une sorte d'univers figurant des planètes, des noms et des flèches.
Dans le train pour Paris, il avait ébauché cette galaxie des personnalités socialistes, avec, là, Fabius entouré de satellites (ses lieutenants, comme Claude Bartolone ou feu Henri Weber), les « royalistes » (Aurélie Filippetti, Vincent Peillon…) gravitant autour de la dame, Delanoë et ses étoiles du moment, comme François Hollande, et bien sûr DSK entouré d'une myriade d'astres (« Camba », Pierre Moscovici, Jean-Marie Le Guen…). Un peu avant l'élection de François Hollande, Jean-Christophe Cambadélis confiait curieusement ne pas vouloir être ministre ; il préférait devenir patron du PS, là où l'on fait vraiment de la politique.
Laurent Berger, l'un de ses candidats pour l'Élysée
Aujourd'hui, il s'est donné une mission : créer les conditions pour lancer une candidature sociale-démocrate à la prochaine présidentielle. Le succès sondagier de Raphaël Glucksmann pour le scrutin européen valide, dit-il, sa thèse : la gauche raisonnable, républicaine et laïque n'est pas condamnée à se dissoudre dans la radicalité. Il ne compte pas sur ses doigts mais il a son plan en plusieurs étapes. D'abord, un socle d'idées afin d'attirer les électeurs du centre gauche sans doute orphelins du macronisme en 2027. Ensuite, une tactique : prendre le Parti socialiste en unissant tous les opposants d'Olivier Faure au prochain congrès, sans doute en 2026. Enfin, un candidat pour l'Élysée. C'est là que ça se gâte. Personne ne s'impose. Cambadélis avance quelques noms sans donner l'impression de vraiment y croire : François Hollande, avec qui il est en contact régulier, Bernard Cazeneuve, Carole Delga, la liste n'est pas exhaustive. Il a dans sa poche un joker : Laurent Berger, l'ex-patron de la CFDT, sur lequel « Camba » continue de miser malgré la fin de non-recevoir opposée par l'intéressé. « Berger serait à la présidentielle ce que Glucksmann est aux européennes. C'est l'hypothèse sociale-démocrate », explique Jean-Christophe Cambadélis
Comme tous les socialistes opposés à la Nupes, « Kostas » (son nom à l'OCI) sait bien que Mélenchon se dressera sur la route de la social-démocratie. Son vieil adversaire trotskiste, qu'il n'a cessé d'affronter depuis leurs tendres années étudiantes, repartira pour une quatrième élection présidentielle, ça ne fait à ses yeux aucun doute. « Il sait qu'il ne sera jamais président de la République, mais il veut être le leader de l'opposition à Marine Le Pen », analyse Jean-Christophe Cambadélis. Un demi-siècle après leur début en politique, les deux ex-lambertistes se combattent toujours. Ils ne lâcheront sans doute jamais la rampe. « Ils sont pareils : ils mangent, ils dorment, ils vivent politique », dit d'eux François Hollande. Parole d'expert.
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