Rarement la cérémonie des césars aura conduit à un tel tumulte. Le prix du scénario d’abord, dont on ne dira jamais assez combien il emprunte au livre de Christian Vigouroux qui révéla le rôle du colonel Picquart. Mais la polémique fut paroxysmique avec le départ de Adèle Haenel « on se lève et on se casse ».
Rarement la cérémonie des césars aura conduit à un tel tumulte. Le prix du scénario d’abord, dont on ne dira jamais assez combien il emprunte au livre de Christian Vigouroux qui révéla le rôle du colonel Picquart.
Mais la polémique fut paroxysmique avec le départ de Adèle Haenel « on se lève et on se casse ».
L’irruption du réel dans la fiction fut signifiante et même signifiée. Clin d’œil à une œuvre « J’accuse » dont le principal défaut fut de reléguer le réel à la marge, une scène avec Zola et Clémenceau, la formidable polémique qui suivit l’affaire et bouleversa la vie française.
Mais revenons au sujet : la soirée aurait dû satisfaire ; Polanski n’a pas été censuré ; et ce dont on se souviendra c’est la mise en scène des féministes contre le viol, le harcèlement de femmes ou mineurs.
Ce second clin d’œil de l’histoire ne doit pas nous faire oublier l’objet de la controverse.
Premier sujet, la revendication portée par ces femmes et d’autres est-elle juste ?
Qui peut le nier. Elle est profondément progressiste. Il s’agit de la lutte contre la domination : domination sexuelle, domination masculine, domination masculine et sexuelle dûe au pouvoir. Et, accessoirement, si on peut estimer cela accessoire, il s’agissait de faire résonnance à des mises en cause de Mr Polanski.
Et pour que cette question émerge, il est nécessaire de briser le monde du silence. Alors évidemment ça dérange un peu. On se souviendra de la violence dans les luttes sociales ou des actions spectaculaires de Act-up contre le SIDA. Le progrès social n’avance jamais sur la pointe des pieds.
Deuxième sujet, l’esprit de justice dans le sens étymologique du terme condamnant l’injustice faite à ces femmes est-il supérieur à la justice ?
L’interpellation même fondée sur une injustice et des faits est-elle supérieure à la chose jugée voire à juger ou tout simplement à la présomption d’innocence ? On se souviendra de l’affaire de Bruay-en-Artois et la mise en cause de Pierre Leroy par une certaine extrême gauche faisant ainsi le procès de la bourgeoisie.
Peut-on, au nom d’une cause juste, professer une condamnation symbolique, exiger un interdit, excommunier, hors une décision de justice ?
Nul ne peut être au-dessus de la loi. Mais nul ne peut se faire la loi. Sinon, il n’y a plus de société et donc plus de progrès possible.
Dans leur combat, les féministes parlent au nom de toutes les femmes. Ce combat n’a pas de limites et c’est légitime. Mais ce combat doit-il se limiter à un homme ? Doit-il être la victime expiatoire d’une société ? est-il jugé ? Est-il en procès ? A-t-il été condamné ?
Peut-on substituer un procès populaire, sans avocats de la défense ni présomption d’innocence ni recours du droit, voire de la prescription, à un procès réel ? Les tribunaux populaires, forts du bon droit de la lutte contre l’injustice, peuvent-ils se substituer au droit ?
Cette violence symbolique, faite à un accusé dont la justice (suisse) dit qu’il avait purgé sa peine, est-elle progressiste ? On me répondra avec raison : et la violence réelle faite aux femmes est-elle progressiste ? Et les harcèlements, les viols ne sont-ils pas des violences ? Sans parler des féminicides.
C’est dans cette tension que se noue toutes les tensions. L’esprit de justice est-elle supérieure à l’esprit des lois ? La loi, la chose jugée, doit-elle conduire à bâillonner les victimes ?
Il est quasiment impossible de sortir de la tenaille sans quelques dégâts ou une part de mauvaise foi. On voit le niveau des arguments échangés.
Alors ? Alors ? Tout vient du fait que l’académie des Césars a choisi le « J’accuse ». Elle aura pu mettre le film, si je peux écrire, hors concours. Et bien non, c’est un choix délibéré.
Et Mr Terzian n’est pas pour rien dans cette affaire. Car « le choix de Terzian » visait à faire taire la mise en cause de Polanski. Et là, c’est lui qui a décidé que l’œuvre serait un bouclier. Je dirais même que se fut de fait un argument électoral qui ne permit pas à d’autres œuvres comme les misérables de totalement l’emporter. Pourquoi a-t-on voté à ce point pour les Césars parce qu'il fallait combattre la censure?.
Tout le monde fut donc piégé par ce choix. Se taire était-il possible ? Mieux, les Césars n’offraient-ils pas, dans ces conditions l’espace rêvé d’une confrontation annoncée. On ne décernait pas de prix au film de Polanski : c’était l’autocensure. Il en avait un ou deux et ce fut le scandale. Les dés étaient pipés. Et puis symbole des symboles « J’accuse » c’est quand même une incitation voire une permission à se lever contre l’arbitraire.
Et à la fin, tout le monde « accuse » tout le monde. Chacun y va de son indignation avec son style, pas toujours heureux, et de ses excès pour le moins inappropriés à la cause que l’on défend.
J’accuse Terzian qui est passé à l’as de cette soirée et a piégé tout le monde.
Continuons, peut-on recevoir l’argument : on ne juge pas une œuvre avec les lunettes, les turpitudes de son auteur versus on ne distingue pas les œuvres de l’auteur des turpitudes.
On avait déjà eu le débat autour de Herbert Von Karajan ou de Heidegger à propos de leurs passés dans la montée du nazisme. Je m’empresse de dire que cela n’a rien à voir avec Polanski. Mais j’évoque l’œuvre et la morale ou la justice. J’aurais pu prendre Gauguin ou Céline.
Là encore, il ne faut distinguer, comme aurait dit Bourdieu, que l’histoire rappelle ce que fut l’itinéraire. Ce n’est pas choquant et c’est parfois nécessaire si ce n’est pas une obsession. Mais que l’on réduise voire résume l’homme et donc l’œuvre à des épisodes de sa vie, n’est tout simplement pas humain tant qu'il n’y a pas de crime de sang.
Nul tribunal n’a condamné la totalité d’une œuvre. Mais le génie ne peut être un sauf conduit. Après, dire les choses, n’est pas un autodafé. Oui, Céline était antisémite. Cela n’empêche pas d’admirer - ce n’est pas mon cas - l'œuvre.
Là encore, il ne faut pas se laisser piéger.
Et pour conclure, j’entends l’argument suivant : à travers cette polémique se jouerait une version nouvelle du féminisme où Simone de Beauvoir et son autre sexe serait dépassé par l’exigence de la reconnaissance du fait féminin dominé.
D’abord, ceci n’a rien à voir avec l’affaire Polanski. Évidemment, il existe une revendication féministe radicale. Il faudrait la discuter, la déconstruire ou l’articuler. Mais ce n’est pas le sujet. On ne peut défendre Polanski en dénonçant les excès des autres.
C’est à nouveau un piège polémique.
Dans la nuit des Césars. Il y avait beaucoup d’obscurité.
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