INTERVIEW - L'ancien Premier secrétaire du Parti socialiste, qui tiendra samedi 13 mai une journée d'étude sur la République, s'efforce de reconstituer la sociale-démocratie.
Entretien avec un féroce contempteur du mélenchonisme, qui pointe également les promesses trahies du macronisme.
"Camba", le dernier des mohicans de la social-démocratie, lance les grandes manœuvres. L’ancien premier secrétaire du Parti socialiste mobilise ses réseaux en vue de faire émerger une alternative social-démocrate à la Nupes de Jean-Luc Mélenchon. Il réunira ses soutiens samedi 13 mai à Paris au siège de la CFDT à Paris. Tout un symbole, alors que certains pressent Laurent Berger de s’investir davantage sur la scène nationale. Mais de Bernard Cazeneuve à François Hollande en passant par Carole Delga ou Nicolas Mayer-Rossignol, ce créneau, déjà rétréci par l’émergence du macronisme, n’est plus très loin de la saturation. Pour tenter cette improbable résurrection du centre-gauche, l’ancien président de l’UNEF-ID propose une méthode – l’union des forces de gauche "réalistes" – et un calendrier, pour aboutir aux élections européennes de 2024.
Challenges : Vous souhaitez incarner une social-démocratie de progrès, réformiste, universaliste, ouverte aux entreprises et pro-européenne. N'est-ce pas ce qu'on appelle autrement le macronisme ?
Jean-Christophe Cambadélis : C'est précisément la promesse trahie du macronisme. Emmanuel Macron est sorti de sa fidélité à François Hollande en promettant un nouveau progressisme. C'est pour cela que Gérard Collomb ou Richard Ferrand comme d'autres se sont engagés. C'est ainsi qu'il a contraint François Hollande de ne pas se présenter. Pour décoller, il a épousé le "en même temps" de François Bayrou. Et Il l'a emporté sur un rejet ni droite ni gauche, tout en profitant du discrédit de François Fillon. Puis il a choisi la droite avec Édouard Philippe. Et il est aujourd'hui la deuxième droite qui tente, de façon désespérée, une alliance classique avec la "droite LR". Nous sommes loin d'une social-démocratie à fonder.
Comment réunir un espace politique restreint et très morcelé entre Carole Delga, Bernard Cazeneuve, François Hollande, ou Nicolas Mayer-Rossignol ? Existe-t-il un fil rouge entre ces personnalités ?
L'espace est plus grand qu'on ne le croit car la situation, hors RN qui campe sur un quart de l'électorat, est volatile. Il n'y a pas trois blocs RN-Renaissance-Nupes. Il y a un bloc, le RN, et un champ décomposé, archipélisé. C'est ce qui fait la force de l'extrême droite. Même si le pays est majoritairement sur les thèses de celle-ci en matière d'immigration, d'insécurité ou d'identité, elle ne l'est pas dans le domaine républicain, européen ou social. Il nous faut penser à l'après-Macron. L'électorat de gauche qui s'est porté sur lui n'adhère pas à Édouard Philippe s'il y a une offre crédible et responsable à gauche. L'abstentionnisme qui est majoritairement de gauche peut se dégeler pour une "gauche des solutions". Enfin, le vote utile qui s'est pour un temps cristallisé sur Mélenchon peut faire la même démarche pragmatique pour une autre gauche, pour peu qu'elle soit sincèrement de gauche. Alors le fil rouge, c'est qu'une nouvelle gauche est le seul rempart à l'extrême droite et redonner espoir à un pays qui en manque tant.
Cette nouvelle gauche aura-t-elle une liste autonome pour les élections européennes ?
Nous vivons la plus grande crise politique et sociale depuis 1958. Elle ne pourra se dénouer que par des législatives anticipées. Mais la gauche dite de gouvernement n'est ni refondée, ni préparée, ni organisée à cette échéance. C'est d'ailleurs le pari de Mélenchon. Comme toute la gauche, la gauche de gouvernement saute sur sa chaise en disant : "Elle arrive, elle arrive !" en parlant de l'extrême droite, en se remettant à Mélenchon qui, parce qu'il refuse de sortir de sa zone de confort populiste, n'est pas la solution, bien au contraire.
Tous les sondages indiquent pourtant qu'une dissolution ne changerait rien au blocage politique du pays...
Le changement dans une dissolution, c'est une offre nouvelle : celle d'une gauche unitaire et responsable qui ne pense pas que le régalien est un gros mot, les entreprises l'ennemi, mais souhaite remettre le social au centre de tout. La dissolution, je la pense possible, mais aussi souhaitable pour débloquer le pays. Car le propre de la situation actuelle, c'est le blocage du pays. Le président n'a pas de majorité absolue, sa majorité relative craque, il n'est plus sûr de son avenir. L'impopularité et l'isolement de l'exécutif atteignent des sommets. La droite est incapable d'assumer une coalition voire une cohabitation. Les problèmes de toutes sortes s'accumulent. Cela ne peut durer quatre ans comme cela...
Les sympathisants de gauche sont très favorables à la Nupes et 76% réclament même une liste commune aux Européennes. N'y a-t-il pas un contresens historique à tenter de diviser la gauche ?
Le contresens, c'est de dire comme madame Tondelier : "on fait des listes séparées aux Européennes, mais pas grave, nous aurons une candidature commune "dévirilisée" à la présidentielle". La volonté d'union est grande et c'est un atout qui se retournera contre Mélenchon quand nous aurons reconstruit l'offre d'une gauche réaliste. Quant à l'Europe, jamais elle n'aura été aussi essentielle : guerre, inflation, sanitaire, terrorisme, immigration, guerre commerciale ou de l'économie immatérielle. Mais jamais elle n'aura été aussi en danger. Le vent du nationalisme, souvent d'extrême droite, s'est levé dans toute l'Europe. L'enjeu, ce n'est pas de faire un score face à l'extrême droite de Bardella en France. C'est de bloquer le nationalisme d'exclusion en Europe. Et seuls les sociaux-démocrates sont en capacité de le faire. Soit il y a une liste qui défend cette stratégie, soit la gauche européenne se planque à nouveau dans un conglomérat souverainisto-européen. Et il faudra hisser les couleurs. Il faut une liste de la gauche européenne, c'est historique !
Pour beaucoup d’électeurs de gauche, la social-démocratie, c'est Hollande, c'est Valls, c’est la loi travail, la déchéance de la nationalité….
Cela existe même si ce n'est pas la majorité du genre. C'est la rançon de ceux qui ont voulu disqualifier la gauche de gouvernement en caressant le gauchisme. Et de ceux qui ont voulu disqualifier la gauche de contestation en caressant le libéralisme. Résultat, la gauche réaliste n'a ni passé ni présent. Elle est inaudible sur tous les sujets où elle est la meilleure alliée de Mélenchon, au prix d'un parti coupé en deux. C'est pourquoi il faut laisser le passé à la critique rongeuse des souris et inventer une nouvelle gauche de gouvernement.
Vous tenez votre rassemblement au siège de la CFDT. Laurent Berger ferait-il un bon candidat pour la gauche social-démocrate ?
Vu l'importance de la question sociale, il ferait un bon président. Il aurait l'avantage d'incarner un nouveau cycle républicain, responsable, social-écologique et européen. Il pourrait être un Lula à la française. Mais il ne veut pas. C'est tout à fait respectable. Et cela doit être respecté. Je forme simplement le vœu qu'en tant que citoyen, il aide avec d'autres à la recomposition de la gauche sur un axe "responsable de gauche".
En appelant à mettre à bas la "mauvaise République", Mélenchon a-t-il perdu tout crédit pour incarner la gauche républicaine de gouvernement ?
Ce n'est pas cette formule qui le disqualifie. Elle est somme toute dans l'épure du coup d'État permanent de François Mitterrand. Non, c'est le fait de dire que la police tue, de soutenir les formules sur le 14 juillet et la Bastille, de réhabiliter les antivax, de confondre Israël et Netanyahou ou encore d'avoir soutenu plus longtemps que de raison Poutine ou la revendication de la Chine sur Taiwan, sans oublier un programme économique de rupture, etc., etc.
On a souvent annoncé la mort du Parti socialiste, pourtant, il a survécu et compte un groupe parlementaire, il a retrouvé une voix à gauche et est accepté dans les manifestations. Le bilan d'Olivier Faure est-il si mauvais ?
Le PS n'est pas mort, il ne respire plus. Il n'imprime plus. Il ne décide plus. L'honneur du PS, le parti de Jaurès, Blum, Mitterrand, Rocard, Jospin, ou Fabius, sans oublier Mauroy et Emmanuelli, ce n'est pas de sauvegarder un appareil croupion du mélenchonisme, mais d'ouvrir une perspective de la justice dans la société, d'une République impartiale, d'une égalité réelle, d'une liberté ordonnée, d'une fraternité laïque. Cela passe par le fait, comme Mitterrand ou Hollande à un moment, de prendre son bâton de pèlerin pour convaincre et non de survivre subordonné.
Bernard Cazeneuve a pris de l'avance pour 2027 en structurant son mouvement "la Convention". N'est-ce pas lui le champion de la Gauche social-démocrate ?
Il a toutes les qualités. Il organise un beau meeting le 10 juin. Il a un temps d'avance. Il n'est pas le seul à pouvoir espérer. D'ailleurs, il ne prétend pas l'être. Il veut une fédération pour redonner sens et vie à une Gauche social-démocrate. C'est la bonne stratégie. Une fédération, une nouvelle doctrine, une nouvelle stratégie, et une incarnation. J'ajouterais deux conseils à tous ceux qui espèrent : la gauche, sans être mélenchoniste, est plus exigeante qu'on le croit dans sa volonté de réelle justice. Et la volonté de se différencier pour se reconstituer ne doit pas nous faire oublier la nécessité, toujours et tout le temps, de rassembler. Mais je crois que cela est partagé. C'est le sens de notre rassemblement le 13 mai dans une journée d'étude sur la crise de la République.