EDITO - Partis et mouvements progressistes multiplient les programmes et les "webinaires". Dans la plus grande indifférence médiatique.
On pourrait en rester là : à gauche rien de nouveau ! Un constat accablant. Que des sondages qui poudroient l’insignifiance de candidat(e)s sans chance aucune de figurer au second tour de la prochaine présidentielle. Et pourtant… Pourtant, si l’on sort un instant de l’obsession virale, de ses ravages sanitaires, économiques, sociaux et humains, présents comme à venir, l’on peut déceler, en chaussant de bonnes bésicles, comme une agitation intellectuelle dans cet apparent désert si déprimant de l’univers progressiste encore loin d’être rétabli.
La social-démocratie française ne s’est sans doute pas remise de son effondrement international et national avec la version déconfite du hollandisme. Le macronisme n’a fait que lui donner le coup de grâce. Il est pourtant des signes qui n’annoncent pas forcément le printemps proche, mais au moins un désir de réinvention pour l’avenir. Encore faiblard, mais c’est un fourmillement. Ils ont des fourmis dans la tête. Pas des géantes, mais ça bouge un peu. La preuve par les plateformes qui se multiplient. Attention, ne pas écrire les "plates formes" car ce serait les réduire à une platitude insignifiante qu’elles ne méritent pas ! Même si les médias ne leur accordent aucun intérêt ! Nada…
Foi dans "un avenir de gauche"
Illustration de ce désintérêt médiatique le week-end dernier où une dizaine de partis et mouvements, dont le PS, le PRG, Nouvelle Donne, Nouvelle Société, le Mouvement des Citoyens, etc., tenaient "un Zoom des gauches", autrement appelé "Webinaire". Un séminaire sur le web donc, avec pour locomotive du jour "Engageons nous", le mouvement de Laurent Joffrin et ses nuages de fumée vapoteuse. On ne peut pas dire pour autant que ce fut fumant ni totalement fumeux, mais ils furent pleins de bonnes intentions prospectives, de désir d’avancer et de rassembler sur la base de propositions qui, aujourd’hui ... n’intéressent personne : pas une ligne dans les journaux le lendemain ni d’écho dans les radios et télés. Ceux-là qui ont foi dans "un avenir de gauche" oeuvrent dans les catacombes de l’indifférence.
Or, il n’est pas inutile de les écouter, de les lire, car ils ont commencé à déposer sur leurs sites respectifs des éléments de programme plus ou moins avancés qui traduisent, ainsi que trompette l’ex-premier secrétaire du PS Jean Christophe Cambadélis dans son "mémorandum pour une Nouvelle société", "de réinventer un imaginaire commun afin d’aller vers une fédération des gauches de transformation". Le choix d’un candidat commun à la présidentielle 2022 viendrait après cette œuvre d’accouchement collectif. Le "travail a donc déjà commencé", d’où il ressort une ligne de force : tous se réfèrent à "une sociale-écologie" ou à "une écologie sociale".
L’évolution (la révolution?) verte est "manifeste". Priorité absolue est donnée à "la transformation écologique" mais accompagnée de "justice sociale". Il ne s’agit donc plus de "greenwashing", ni de traiter les écologistes en supplétifs, mais en partenaires essentiels. Avec, cependant, une difficulté qui est soigneusement esquivée : ces "partenaires", qui ont si longtemps été humiliés et tenus pour la cinquième roue du carrosse, ceux-là veulent bien d’une alliance, mais … derrière eux ! Ainsi que le souligne le député européen Vert David Cormand : "La social-démocratie a fait son temps, place à l’écologie". C’est "le grand remplacement" que préparent ceux qu’on prend encore pour de "doux rêveurs" - lesquels ambitionnent désormais d’exercer le pouvoir. Y compris au plus haut niveau ! Les écologistes veulent l’Elysée, c’est dit et écrit!
Dessiner un futur commun pour intéresser les Français
Face à ce renversement historique de perspectives, les sociaux-démocrates, qu’ils soient encore au PS ou qu’ils en soient sortis, rechignent à porter la contradiction, sinon le fer. Anne Hidalgo, la maire de la capitale, qui a lancé elle aussi sa plate-forme (Idées en Commun après Paris en Commun !), a bien mis en cause "le rapport des écologistes à la République", les appelant à "sortir de l’ambiguïté" face à l’islamisme. Cette mise en cause a suscité l’ire d’Europe Écologie les Verts (EELV). Elle est toutefois partagée par beaucoup, notamment depuis que les Verts ont participé à la fameuse manifestation contre l’islamophobie organisée par le CCIF au temps où il n’était pas interdit. Pourtant… "Pas de polémique" ! Les sociaux-démocrates fuient la confrontation. Comme s’ils avaient peur.
Il y aurait pourtant de quoi "échanger", débattre si l’on veut se mettre d’accord et intéresser les Français. Car panser c’est bien, mais penser c’est beaucoup mieux - ce qui implique de confronter des réflexions, des histoires et des avenirs avant de parvenir, justement, à un futur commun. Sur le nucléaire par exemple, comme le souligne Arnaud Montebourg, qui est une plate-forme d’idées à lui tout seul, il y a un désaccord total : les écologistes sont pour le débrancher, alors que l’ex-ministre de l’Economie, et nombre de sociaux-démocrates, pensent qu’on ne saurait s’en passer. Au-delà de cette énergie malpropre et propre à la fois, c’est sur la question du progrès qu’un malaise, profond et qu’on ne dissipe pas, persiste. Les Verts sont soupçonnés d’être des "décroissants" plus ou moins masqués, quand les socialistes sont eux suspectés d’être des "croissants au beurre" comme disent certains, c’est-à-dire d’être toujours partisans d’une croissance destructrice. Là-dessus on ne s’explique guère, on ne s’apostrophe qu’à peine. Par exemple, qui est d’accord ou pas pour poursuivre la construction d’un nouveau sous-marin nucléaire ainsi que s’y est engagé le président de la République ? Pour l’instant on reste encore confiné dans une réflexion "oui-ouiste". Oui à l’union… Oui à l’écologie…Oui à la justice sociale.
Débat public étouffé par la pandémie
Jean-Luc Mélenchon n’est guère plus interpellé. Le candidat déclaré est plus avancé dans sa campagne présidentielle ; il la poursuit toutefois dans une grande indifférence. Il a tenu lui aussi un "forum numérique" sur sa chaîne You Tube, mais qui n’a guère rencontré d’échos, sinon un compte-rendu dans Le Figaroqui a toujours accordé de la place à l’opposant "insoumis" de sa Majesté présidentielle. Le leader de LFI peut donc sans provoquer de vagues s’engager à mettre à bas la Ve République qui a jusqu’ici garanti la stabilité, ou encore à supprimer les crédits pour l’école privée, ce qui risque de relancer la guerre scolaire… Voilà qui mériterait pourtant quelques interrogations, voire des remarques, sinon des débats. De même pourrait-on l’interroger, et par là même s’interroger sur sa dérive indigéniste, lui qui, jadis, incarnait le républicanisme. Et que dire de son absence de toute référence à la gauche … dont il vient ? Mais Mélenchon se veut désormais pour un rassemblement populaire qui ne suscite pour l’instant aucun rassemblement...
On dira que le temps des mouvements de frontières et d’électeurs n’est pas venu. Nos esprits sont trop confinés dans l’obsession pandémique pour se projeter vers la présidentielle et ses enjeux sociétaux pourtant essentiels. C’est un des virus les plus pernicieux, celui qui réduit et pervertit le débat public. Le sanitaire lobotomise la politique réduite à arbitrer s’il faut vivre encore plus enfermé qu’enfermé ! On se souvient tout juste d’un temps où le Président lui-même quand il était candidat s’imaginait pouvoir la réinventer, cette politique, en y instillant notamment plus de "spiritualité". Un mot qu’emploie aussi Bruno Le Maire dans son dernier et passionnant ouvrage L’ange et la bête (Gallimard). "Et si, écrit-il, la politique avait vocation à redonner une spiritualité à la France ?" Après cette interrogation engageante et transcendantale, le ministre de l’Economie parle, bien sûr, de tout autre chose.