Un antihumanisme se lève sur la planète et s’installe en France. 

 

Face à des démocraties avachies dans le « tout marché », les savonaroles de tous poils écrivent leurs bûchers des vanités, au nom du retour des nations.

Le président Mitterrand avait dit « le nationalisme, c’est la guerre ». Nous y sommes !

Au nom de la grande Russie, Poutine a lancé ses troupes à l’assaut d’un pays qu’il estime sien et d’un peuple qui regardait trop vers les « démocraties ».

Il remet à l’ordre du jour cette formule de Koutousov dans « Guerre et Paix » que chaque enfant Russe étudie à l’école : « le salut de la Russie est dans son Armée ». Tolstoï, qui conta sa « vie de soldat » à Sébastopol, n’est pas pour rien dans l’imaginaire russe, résistant aux troupes de Napoléon 1er ; cette révolution à cheval qui vient de l’Occident. Au point d’ailleurs que Staline en fit imprimer plusieurs centaines de milliers d’exemplaires pour galvaniser les troupes lors du siège de Stalingrad par l’armée d’Hitler. 

Tolstoï écrit « la question pour un chrétien n’est pas si un homme a le droit ou non de détruire l’état actuel des choses (...) Mais comment il doit agir par rapport à la violence qui se manifeste par les gouvernements dans les rapports sociaux et internationaux ». 

C’est fort de cette « âme russe », dans un délire rationnel, que Poutine Président et dictateur accélère le basculement du Monde au seuil de la 3ème guerre mondiale.  

Cette guerre est présente à chaque instant par le pilonnement des images mais elle est en même lointaine pour les Français. 

Nous nous vivons comme un pays de l’arrière à l’abri protégé par notre bouclier nucléaire et les forces putatives de l’OTAN. 

Nous ne mesurons pas toujours ce moment où se joue le destin des Peuples et l’affrontement entre la démocratie et la barbarie.  

Au nom de la libéralisation des échanges et du marché mondial, nous avons fermé les yeux sur bien des choses : que ce soit la montée de l’illibéralisme et des régimes autoritaires ; du massacre de populations aux quatre coins de la planète ; sans oublier la fabrication de fausses preuves pour bouter un dictateur sanguinaire hors du pouvoir.

Cette « barbarie » tenue à distance ne nous atteignait pas puisqu’elle ne nous touchait pas ; comme Sarajevo ou Srebrenica nous semblaient lointains. Mais voilà les conséquences de cet affrontement sont d’un autre type car elles révèlent le monde qui vient. 

D’abord, parce qu’au nom de la patrie, de la nation, on peut nier tout État de droit, toutes libertés et débats pour imposer par la force brute sa vision. Cette plaie à l’aine du Monde que l’on pensait fermé depuis 1945 est de retour. Regardez comment, sous l’impact de la guerre de Poutine, les pays se réarment, à commencer par l’Allemagne. Nous ne sommes pas dans un jeu vidéo même si la guerre se « passe » à la télé. 

Mais le conflit armé a d’autres conséquences : d’abord économiques.

On prête une oreille distraite aux déclarations qui nous informe sur la réalité de ce qu’il va advenir.

Nous nous pensons inatteignables, si ce n’est le désagrément de l’augmentation de l’essence à la pompe. 

Pourtant, la BCE est claire, soulignant « l’impact important sur l’activité économique et l’inflation par la hausse des prix de l’énergie des matières premières, la perturbation du commerce international ». Les experts s’accordent sur la hausse des prix de l’ordre de 5,1%. Selon l’assureur crédit Euler Hermès « la facture moyenne annuelle par habitant va atteindre 2800 euros ». Quant au rapport de la Banque de France, il est sans appel « moins de croissance plus d’inflation » qu’elle pronostique entre 3,7 et près de 5 %. Ce qui va vouloir dire un renchérissement des taux d’emprunts pour la France. Et l’État va s’endetter un peu plus pour son « projet de résilience ».  Et demain, il y aura donc un gros coup de frein sur la dépense publique et des mesures pour les retraites, les allocations chômage pour le vainqueur de la présidentielle. 

Dans un pays comme la France où plus de 40% partagent un nationalisme d’exclusion pendant que 30% des Français s’apprêtent à s’abstenir à la présidentielle et 10% se réclament d’un populisme de gauche, on imagine l’impact d’une guerre ukrainienne qui dure. La France couve elle-même un nationalisme d’exclusion au nom du grand remplacement ou d’une xénophobie ordinaire.

Mais d’autres déstabilisations vont se manifester. Les pays méditerranéens anticipent la pénurie de blé, et particulièrement les plus instables comme le Liban, la Tunisie, l’Égypte où la sécurité alimentaire est déjà menacée. On aurait tort en étant captivé par le siège de Kiev de ne pas voir ce qui se passe en Algérie où la répression s’abat, de manière féroce, sur tout ce qui conteste le régime. Dans tous ces pays la question, à plus ou moins long terme, sera les émeutes de la faim et l’immigration massive. Ce qui est réel ou fantasmé va alimenter le nationalisme d’exclusion en Europe, voire un racisme ordinaire.

Nous assistons à la déstabilisation du Monde alors que d’autres menaces planes et pas seulement écologiques : le terrorisme est toujours là ; le nucléaire iranien n’est pas réglé ni celui de la Corée. Le régime de Xi Jinping, dont la personne a été constitutionnalisée, ne sort pas de l’ambiguïté sur la guerre en Ukraine. Tout à la fois hostile aux États-Unis et lorgnant sur les réserves russes, le président chinois estime que la fin de l’URSS fut une catastrophe historique et que Gorbatchev devait être jugé pour cela.

Nous vivons un moment barbare, un antihumanisme qui touche ce que nous avons de plus cher : la démocratie. C’est un étrange étau dans lequel elle se débat entre guerres et dictateurs d’une part et la société de marché ou tout est marchandisé. 

Tout est-il déjà joué ? Sûrement pas ! 

Stephan Swieg, pourtant grand pessimiste au point de se suicider, écrit dans « seuls les vivants créent le Monde » : « Je croyais que rien ne pouvait dépasser en puissance la guerre mais j’ai senti que l’énergie qui lui vient à bout est plus puissante encore ». 

Cette énergie est là, visible dans l’héroïque résistance ukrainienne. Elle se bat seule sous les bombes alors que le pays se vide de ses femmes et de ses enfants. Pilonnées par les orgues de Poutine, détruites et martyres, les villes résistent pendant que Kiev recule le moment fatidique. L’exemple du dévouement de l’abnégation devant l’arbitraire soldatesque est un point d’appui contre la Barbarie. 

La solidarité des peuples du Monde n’est pas en reste. Nous comprenons que c’est une part de notre destin qui se joue à Kiev, à Marioupol ou à Odessa. Mais tout autant, les manifestants Russes anti-guerre où ce geste de courage de Marina Ovsiannikova interrompant le journal TV Russe pour dénoncer la propagande du Kremlin qui est à la Guerre ukrainienne ce que fut l’acte héroïque de cet homme bloquant seul une colonne de chars place Tiananmen. 

Il y a dans ces résistances une conscience, une énergie démocratique, source de renouveau à l’instar de l’opinion mondiale qui soutient l’isolement du Kremlin sans totalement mesurer le choc en retour. 

Après la Covid-19, la guerre repolitise lentement. Les tenants du soutien à Poutine capable de dire comme Mélenchon que ce dernier « allait régler la question en Syrie » ou comme Zemmour « qu’il manque à la France un Poutine » font aujourd’hui marche arrière.

L’opinion tenaillée par l’idéologie xénophobe ne rechigne pas à l’accueil des réfugiés même si c’est parfois au travers d’un différentialisme pas acceptable entre Ukrainiens et les autres. 

L’Europe ne se divise pas même si les désaccords sont toujours là.

Dans cette grande confrontation, la Gauche a ou doit, au-delà de la Présidentielle, avoir son mot à dire. Elle est indispensable car c’est la seule force qui défend la démocratie contre l’illibéralisme et le tout marché. Je crois dans ces moments décisifs en la naissance d’une Gauche sociale-démocrate défendant la démocratie contre la barbarie et l'intégrité humaine dans les défis économiques, écologiques et numériques de ce siècle. 

Il ne s'agit pas de refaire le Monde mais « d’éviter qu’il ne se défasse », disait Camus lors de son discours pour le prix Nobel. Éviter que la démocratie ne se défasse par la dictature ou le marché ; faire en sorte que l’humanité surmonte ses défis, ses démons dont la barbarie climatique n’est pas la dernière ; oui, faire advenir un autre monde surmontant la logique de la barbarie. 

Dans les brumes, il y a des énergies qui donnent de l’espoir.