La première semaine de décembre 2022, un tournant

C’est un pont entre deux moments. Une nouvelle séquence s’ouvre : elle sera définitivement achevée par les 500 signatures qui officialiseront les candidats ; la création d’ensembles citoyens « nouvelle maison commune du macronisme » ; la désignation du candidat LR de la droite institutionnelle. 

Le deuxième candidat d’extrême droite Éric Zemmour s’affichera sur TF1 lundi et au zénith quelques jours plus tard. 

L’écologiste Jadot a sorti son couplet unitaire il y a peu dans le JDD et annonce ses futurs locaux. 

Anne Hidalgo bascule dans le « full time »présidentielle en commençant par l’immersion dans la France profonde etc.

Tous pressent le pas pendant que les Français se tournent à petit pas vers l’échéance. 

Il n’est pas interdit de faire le point à cette mi-temps présidentielle. 

Le président de la République se veut lui « petit poucet ». Il a tranché pour la tactique des petits cailloux : pas une semaine sans une annonce et un chèque ; pas un jour sans un signe médiatique ; profiter au maximum de la fonction, tout en étant protégé par elle, tel est son credo. Sur le fond, peu de changement, bouclier contre l’extrême droite : c’est moi ou eux ! Cela a déjà fonctionné ! Alors pourquoi pas ?

Mais Emmanuel Macron candidat s’offre une variante. Il ne s’agit pas d’une réélection mais d’une élection. Il s’agit de la première marche vers un nouvel horizon. Edouard Philippe appréciera....  

Président, il a pris soin de baliser une terre promise en 2030. Candidat, il prendra soin d’en être le Moïse qui remplacera allègrement « Jupiter ».  

Macron conjure ainsi la question des présidents sortants : un deuxième mandat pour quoi faire ? Il ne s’agit plus de continuer mais de commencer une longue marche, si je puis dire. 

Rien ne dit que la certitude sondagière de « Jupiter » résistera à la rentrée dans l’atmosphère terrestre. Voilà pourquoi Macron parachèvera sa candidature tard, pour ne pas prendre le risque de dévisser.

Zemmour est incontestablement le champion du petit bain pré-présidentielle. Il a animé la première partie de la course en plaine. Mais les premières rampes de la montagne arrivent et il peine. Le gros du peloton a mis en route pour combler l’écart.   

Drame psychanalytique, pour Marine Le Pen ou débarrassé du père, il se réincarne dans un fils concurrent. Car Zemmour a repris toute la panoplie de Jean-Marie : sa radicalité, sa rhétorique, ses provocations comme mode de propulsion jusqu’à ses dérapages, qui provoquent la consternation. L’extrême droite décomplexée de Zemmour se déploie dans des pays où les thèmes qu’il agite sont majoritaires. Il est en plus propulsé par un groupe média qui a trouvé là, une martingale d’audience. 

Mais le pamphlétiste s’est heurté depuis à l’électorat populaire capté par l’extrême-droite. Sa formule « j’aime les livres, elle aime les chats » en évoquant  Marine Le Pen est apparue pour ce qu’elle est, le mépris du peuple.  La « trumpisation » de la communication de Zemmour : provocation, réaction, mobilisation a fonctionné dans la phase ascendante. Elle finit par se retourner contre le trublion. L’attaque contre le président Hollande devant le Bataclan n’était pas seulement une faute de goût mais une faute de cars. Les Français sont descendus dans la rue pour défendre précisément leurs valeurs ou leur art de vivre. Ils n’ont pas goûté la plaisanterie. Comme la communauté juive, a vu, à juste raison, une résurgence d’un antisémite de « studio » dans les assertions sur les victimes juives de Mehra se faisant enterrer en Israël. Si on ajoute la réhabilitation de Pétain et un de Gaulle dépeint comme premier lutteur contre le grand remplacement à la sortie de la guerre d’Algérie, la coupe est pleine. 

Marine le Pen jouant diesel se voit tout à coup, certes banalisée, mais moins ostracisée et donc au deuxième tour loin devant Eric Zemmour face à Macron. 

Si l’extrême droite des beaux quartiers, ceux que décrit Aragon, où les fils de bonne famille sont à l’extrême droite avait pris fait et cause pour le chroniqueur de CNews. Ils l’ont fait parce qu’ils ne croient plus en la capacité de Marine le Pen de l’emporter. Et tout à coup, c’est Zemmour qui apparaît loin du compte au second tour. Du coup, le maire de Béziers déclare qu’« Éric, c’est plus possible. Il fait peur ». Jean-Marie le Pen change d’âne et trouve que Zemmour n’a pas la gueule de l’emploi. Il faut dire que sa fille a fait allégeance en déclarant qu’« en cas de victoire, sa première pensée ira à lui ». Et enfin, de Villiers déclare qu’il ne sera pas au meeting de Zemmour car il a piscine. Bref, la charge de la brigade zemmourienne s’essouffle. La déclaration de candidature est donc censée  « rebooster » le projet. Mais on touche là à la nature du phénomène Zemmour. Futur président de la France et des Français ? ou aiguillon des droites et de l’extrême-droite ? Le premier paraît peu probable. Le second a déjà produit son effet. Marine le Pen a fait un tournant, revisitant ses classiques frontistes. Et la droite débat exclusivement de l’immigration et de l’identité, en tout cas en fait un thème central. Et « l’autre » Éric Ciotti joue les « Zemmour » dans les murs. Il indique ainsi que la droite a compris le message. 

La droite dite classique court après la droite extrémiste. Elle se préoccupe moins de la cohérence de la Nation que de pourchasser l’immigration. Elle a décidé que l’insécurité était avant tout une affaire ethnique et, quant à la question sociale, elle devait se dissoudre dans la potion libérale. Après Juppé, Sarkozy, et Fillon, les nouveaux compétiteurs de la droite semblent des hérauts de deuxième division. Ils sont en plus coincés entre le bloc identitaire à 35% et Macron à 24 %.  Au fond, ils scrutent l’arithmétique sondagière. Zemmour leur offre les clés d’un destin en divisant l’extrême-droite. Tant qu’il est vrai qu’en coupant en deux l’électorat de Marine Le Pen, voilà la droite possiblement au second tour. Et par un « tous sauf Macron » quasiment aux portes du pouvoir. Entre Barnier, européen défroqué, Pécresse, Versaillaise technocrate, Ciotti, petit frère de Zemmour, Juvin conservateur libéral à moins que ce soit l’inverse et Xavier Bertrand, seguéniste des Haut-de-France, la droite a du mal à s’enthousiasmer. Pourtant, la mini-primaire leur a offert une maxi visibilité, à un moment où les Français de droite étaient près à s’enrôler. Et bien non, 1 mois plus tard le « meilleur d’entre eux » est toujours à 13 % dans les sondages. C’est-à-dire au même niveau d’un Zemmour tout à coup lyophilisé et largement derrière Marine le Pen tout à coup regonflée. 

Pour la droite, l’essentiel ce n’est pas le fond de jeu mais la qualification. Elle se joue à 5 points. La droite espère que la fin de cette compétition permettra la qualification. Ce n’est pas un programme mais c’est déjà une martingale.  

Car la Gauche s’est mise hors-jeu toute seule. Mélenchon est parti le premier sans se préoccuper des autres. Les communistes, lassés d’être mal traités par ce dernier, ont décidé de se lancer. Et les écologistes ont organisé leur primaire seuls dans leur coin. Ils ont désigné Jadot de peu, lui qui ne voulait plus y participer. Résultat : une candidature à deux têtes et Jadot se trouvant bridé par sa colistière, Sandrine Rousseau, radicalisée.  

Quant au PS, Anne Hidalgo subit un étrange traitement médiatique que même Zemmour ne subit pas. Elle a 4 % ou 6 % mais elle est attaquée, moquée, brocardée par adversaires et médias, comme si elle était en passe d’être au second tour. Elle lance sa campagne dans un moment passablement encombré par la primaire des verts, le démarrage de Montebourg ou la sortie du livre de Zemmour et étonne en déclarant qu’elle est féministe et écologiste, puis trace un sillon de la social-démocratie. Mais l’idée installée dans l’opinion de gauche est que les socialistes ne sont ni fiers de leur bilan, ni fiers de leur présent, ni fiers de leur avenir. Bref, les socialistes se sont effacés. Ils l’ont déjà fait. Ils pourraient le refaire.

Si Anne Hidalgo est au niveau du PS lors des élections présidentielles et européennes, c’est la gauche dans son ensemble qui est très basse. Trop datée, divisée, radicalisée, ai-je pronostiqué. Personne ne s’envole et la perspective de s’affronter en plus aux législatives désespère le peuple de Gauche. Mélenchon, médiatiquement épargné, est à 11 points de son score de 2017. Jadot est entre 3 et 5 points de son score des Européennes. Montebourg n’a jamais décollé. Roussel a un succès d’estime mais ne dépasse pas les 2 %. 

Pour autant, le résultat n’est pas inscrit dans le marbre. D’abord, personne ne sait à gauche, si tout le monde aura ses signatures. Ensuite, l’abstentionnisme est plutôt de gauche vu l’hyper mobilisation des droites. Il est possible, qu’au final, il y ait là aussi plus de visibilité pour les qualifier. Enfin, un réel discours social et une redistribution des richesses praticable et responsable est le seul contrepoids à la dérive identitaire. La question sociale ne sera portée ni par les extrêmes droites, ni par la droite, ni par Macron. Il suffit de voir comment est traité Territoire et Progrès dans sa « Maison commune ».  La question sociale est LA question française. C’est elle qui peut dégeler l’abstentionnisme. Elle doit se conjuguer avec la République impartiale et une écologie inclusive. Il y a là un chemin. Sinon, c’est au bout la déroute de tous et la longue marche pour la refondation de la Gauche. 

Nous n’en sommes pas là mais à la semaine ceinte. Celle qui marque le basculement vers le vrai paysage de campagne.