L’irruption de la violence terroriste dans la pandémie de la covid-19 est contemporaine de trois polémiques parallèles mettant en cause l’Armée avec l’appel à la sédition de généraux à la retraite, la Justice avec la décision d’absence de procès du tueur de Sarah Halimi, la Police avec le procès de Viry-Chatillon ou l’affichage de photos de policiers dans des cages d’escaliers de banlieue.

Nous avons là les manifestations du délitement républicain, d’une marche à la décomposition et d’une crise française. 

C’est un moment où le mort saisit le vif, où, comme l’évoquait Gramsci « la crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître ; pendant cet interrègne, on observe les phénomènes morbides les plus variés ». 

Toutes les institutions qui structurent notre État bonapartiste sont fragilisées. Et la marche à la décomposition ne produit pas une recomposition sur un nouvel axe bonapartiste ou républicain, précisément parce qu’il n’y a plus de Bonaparte et que la Gauche républicaine est exsangue. 

En attendant, l’affaissement continue. Et ceci vient après la mise en cause de l’efficacité de l’Etat dans la question sanitaire (masques, tests, lits, vaccins), alors que les violences urbaines sont encore dans l’impression rétinienne des Français.  

Armée, Police, Justice, colonne vertébrale de l’Etat républicain sont touchées alors que la société française s’« archipellise » ou se radicalise.

Nous vivons une forme de décomposition : la fragmentation est partout, le commun nulle part, l’amertume envahit tout. 

Il s'ensuit une série de débats ou plutôt de confrontations, d’affrontements aux raisonnements clos où les Français se jettent les uns contre les autres. Cet état de perpétuelle sécession fragilise un peu plus la société française.   

Ce n’est pas la Covid, la sécurité, le terrorisme ou demain l’économie qui sera LE DEBAT de la présidentielle mais le délitement républicain que j’analyse dans mon « Mémorandum sur la République impartiale »

Les récents attentats sont perpétrés par des paumés du djihadisme, des radicalisés dont l’évolution est fulgurante. Ils ne sont pas repérés, souvent déglingués dans un djihadisme d’atmosphère pour reprendre la formule de Gilles Kepel.  

A chaque fois les mêmes actes barbares produisent les mêmes discours. Eric Ciotti désigne l’immigration, Marine le Pen le laxisme, la droite le désarmement par la gauche et celle-ci, profil bas, souligne les obsessions du bloc identitaire devenu culturellement majoritaire. 

La ritualisation du débat est débilitante pour les Français et l’extrémisation des arguments délite le vivre ensemble. 

Battus dans la guerre conventionnelle, les leaders du terrorisme fanatique au nom de l’Islam ont lancé un appel à continuer la guerre sous d’autres formes. Ils ont appelé à porter le « combat » dans les pays occidentaux. Il y avait là l’idée de tuer pour fragmenter la société. Il s’agit de provoquer un double réflexe : une hantise anti-arabe, voire anti-islam dans les démocraties, une réaction pro-daech, voire islamiste dans la communauté des croyants et, au- delà, une solidarité chez les Français issus de l’immigration. 

Nous répondons à cela, par une agitation en tous sens avec des mots de guerre civile.  

Soit nous sommes dans le déni, soit dans la surréaction. Les deux attitudes ne rendent service ni au combat que nous voulons mener, ni à la République que nous voulons protéger. 

Il n’y a pas d’insurrection des populations d’origine ou de culture arabo-musulmane. Il y a des passages à l’acte, des crimes odieux intolérables.

Il y a des solidarités réelles mais ceci est, on en conviendra, limité. Et nous faisons comme si nous étions submergés par une vague islamiste radicale avec un cortège de mots, de phrases, de propositions plus stigmatisant les uns que les autres.

Franchement, la solidarité était plus grande avec le Front de libération nationale (FLN) et le Mouvement national algérien (MNA) pendant la guerre d’Algérie, dans les populations immigrées ou issues de l’immigration qu’elle ne l’est aujourd'hui avec le terrorisme au nom de l’Islam. Ce qui ne veut pas dire que cela n’existe pas. C’est une réalité qu’il est dangereux de nier mais ce n’est pas la majorité du genre. Et se tromper de diagnostic, c’est précisément créer les conditions de la coagulation que cherchent les djihadistes.  

Notre but est de les réduire pour les défaire. Et non par une anticipation abusive, leur faciliter la tâche en instrumentalisant les peurs pour des raisons électorales. Ce faisant, on désarme les Français tout en faisant nous-même levier pour la propagande des assassins.

Il en va de même à propos des accusations de laxisme. Il y a en France plus d’attentats déjoués que d’attentats perpétués même si un meurtre au cri de « Allahou Akbar » est toujours une défaite. 

Il est indéniable que des attentats ont été perpétrés par des immigrés clandestins. Ils l’ont été tout autant par des Français. On a même trouvé un certain Michael Arpon terroriste, tueur à la préfecture de Paris. Cibler uniquement l’immigration nous fait oublier que l’influence, même limitée, est tout aussi prégnante dans des populations françaises. 

Dire que l’on ne peut plus expulser un immigré en situation irrégulière à cause de l’Europe est du même tonneau. C’est une contrevérité qui vise à créer un réflexe xénophobe. Pourtant l’article L 621-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit un an d’emprisonnement et 3750 euros d’amende pour un étranger entré sur le territoire sans avoir respecté le code des frontières de Schengen.

Là encore, on trouble l’opinion pour pêcher en eaux troubles. 

Enfin, nous produisons des lois, des textes répressifs contre le terrorisme tous les mois depuis le début du terrorisme en France en 1995, voire l’attentat de la synagogue de la rue Copernic en 1981.

Ce qui est la manifestation de notre délitement réside dans le fait qu’un attentat est le prétexte à l’autodénigrement et à la stigmatisation supérieurs à la condamnation, à la mobilisation et au rassemblement. 

Nous devons saluer nos succès, nous féliciter de l’extraordinaire résilience de tous les Français, quelle que soit leur religion, qu’ils soient croyants ou pas.

Nous devons être intransigeants et vigilants sur la laïcité, le communautarisme, sans nous départir de nos principes bienveillants et accueillants. 

En un mot, il faut faire de la politique, ne pas nier le danger mais l’affronter avec une politique adaptée et proportionnée. L’hystérisation n’est pas une solution, même si nous sommes dans l’émotion.  

En un mot, prendre conscience de notre fragilité, tout en soulignant notre force, plutôt que miner notre force en soulignant nos fragilités. 

Ce qui ne veut pas dire abdiquer toutes confrontations politiques comme le souhaiteraient les macronistes, mais pratiquer un débat responsable qui peut être sévère, mais dont le but est des solutions non des accusations.  

Il s’agit de la même démarche à promouvoir pour la justice. Il n’y a pas eu de déni de justice dans l’absence de procès du meurtre antisémite de Madame Halimi. Il y a eu un déni de procès. Il n’y a en cette affaire aucune raison « d’avoir honte d’être Français ». La Justice, la Police, les Français ne sont pas antisémites. Une globalisation de même nature est déjà à l’œuvre dans le slogan « la police ou l’Etat est raciste ». Il y a de l’antisémitisme en France ; qui pourrait le nier ? Il se manifeste sous différentes formes. Il n'est malheureusement pas nouveau au pays de l’affaire Dreyfus et de la rafle du Vél d’Hiv'. Il est aujourd'hui minoritaire mais il faut être vigilant. Et un moyen de l’être, c’est le procès dans le drame de Madame Halimi. On ne juge pas les fous. C’est un acquis de civilisation mais on doit à la société de juger les actes. C’est une condition du vivre ensemble. Notre droit avait déjà évolué en ce sens avec une « séance à huis clos ». Nous verrons ce que le Garde des Sceaux veut faire en ce domaine. 

La vigilance, il faut aussi l’exercer avec l’appel sédiceux des généraux publiés dans Valeurs Actuelles et salués par Marine le Pen. C’est grave, même si les « PAPY » de cet appel ne sont pas les généraux du coup d’Etat à Alger. Ce n’est pas la majorité de l’armée. Il révèle surtout l’inconscient du Rassemblement national. Ce texte révèle l’agenda caché du parti d’extrême droite vis-à-vis de la République. 

Sous une forme appropriée, le président de la République aurait dû réagir. C’est lui le chef des armées, échaudé par son premier discours aux armées qui avait conduit à la démission du Général de Villiers. Il a laissé le soin à Madame Parly de répondre à sa place. C’est une faute vis-à-vis de la France et de l’extrême droite. 

« Il fallait réagir fermement » aurait dit le Général de Gaulle avec un discours responsable dans une société traversée par un grand désarroi. Il faut réagir en prenant conscience du délitement de la République. 

C’est la gauche que j’appelle de mes vœux et souhaite défendre car le grand délitement est « en marche » et nul ne sait ce qui en sortira.

Il faut réarmer le discours républicain et par là même la République. Notre discours doit être « tout autre ».

« Ils ne passeront pas parce que nos valeurs, nos principes, nos lois sont en train de gagner. Et malgré nos morts que nous pleurons, nous allons l’emporter ».