1. La présidentielle a une apparence : un tri-campisme ; extrême-droite, extrême-gauche, extrêmes libéraux. Elle a une réalité : le clivage entre les nationalistes et les libéraux dans une France en proie aux radicalités sociales. Le dégagisme vis-à-vis du vieux clivage Droite/Gauche a fini son œuvre. Les partis qui le structuraient ont rendu l’âme. La décomposition est là dans une France profondément divisée, confrontée à la montée de l’inflation et à de multiples crises.
2. Le concept mitterrandien « au premier tour on choisit, au second on élimine » n’est plus. Dans cette élection, au premier tour, on a voté utile, au second on va choisir sans choix... Les Français sont majoritairement dans un vote stratège. L’élection du président de la République au suffrage universel est vidée de son sens. Le pronostic a pris le pas sur le débat.
3. Le vote utile est le produit mécanique de la sondagisation de la Présidentielle. Écrasé par la percée d’Eric Zemmour puis par la guerre en Ukraine, le débat s’est réduit à « qui peut être au 2ème tour ». Comme en 2017, le débat était « qui peut batte Marine Le Pen ». A ce jeu, cette fois-ci, Marine Le Pen a siphonné Eric Zemmour, Dupont-Aignand et l’aile droite des Républicains. C’est à partir du moment où Mélenchon a entamé sa remontée pour éliminer Marine le Pen dès le premier tour que ce mouvement s’est enclenché. Et la montée de Marine Le Pen a provoqué un vote utile pour Macron chez Valérie Pécresse pour éviter le Match le Pen/Mélenchon. Ce dernier a profité de la tentative quasi désespérée de la Gauche de ne pas être éliminée une deuxième fois du 2ème tour ... « 10 ans c’est une condamnation à l’éternité ». Les écologistes, pourtant plébiscités et le PCF dont on disait le plus grand bien, n’ont pas résisté. Le Parti Socialiste qui avait longtemps caressé une candidature commune avec les écologistes puis penché pour Taubira ne fut pas capable d’offrir une alternative. Anne Hidalgo choisie par le PS mais pas désirée fut prise d’emblée en grippe. Elle se heurta à un mur de réprobation dans Paris et contre Paris.
4. Mais le rapport de force dans les profondeurs du pays ne permettait pas à la Gauche de s’imposer. L’extrême-droite nationale-populiste domine idéologiquement le débat. La Gauche datée, divisée, radicalisée est renvoyée à ses foyers locaux. Elle n’a ni une offre nationale capable de rassembler le pays, ni la possibilité de se saisir de la question sociale. La question stratégique qui lui est dorénavant posée est simple et redoutable : comment, au-delà de la contestation sociale, briser le nouveau clivage ?
Car seuls les libéraux autour du Président sortant, ceux de l’État et d’une grande partie de la droite classique apparaissent comme capables de faire face à la déferlante nationaliste.
5. Les sondages (encore) donnent une victoire du Président Macron au second tour mais chacun pressent que nous ne sommes plus en 2017. Marine le Pen s’est banalisée et Emmanuel Macron a gouverné. L’extrême droite nationaliste est aux portes du pouvoir.
6. La victoire de Marine le Pen serait la grande catastrophe française. Elle libérerait la xénophobie, l’hétérophobie ambiante plus qu’elle ne gouvernerait sur son programme populiste car il est probable qu’elle n’aurait pas de majorité à l’Assemblée nationale. C’est donc la confrontation qui s’installerait au sommet de l’État, paralysant la France, ruinant la réputation de celle-ci dans le concert des nations, affaiblissant, par voie de conséquence, le couple franco-allemand au profit d’un couple franco-hongrois dont les banques ont financé la campagne de Marine Le Pen.
7. Dans un combat politique de si grande importance, il faut distinguer l’essentiel de l’accessoire. Et cela s’applique à la Gauche. De ce point de vue, Jean-Luc Mélenchon va porter une grande responsabilité. Il est instruit, plus que tout autre de sa responsabilité. Il connaît l’Histoire, celle du Front populaire appelant à l’union face à la crainte du fascisme, celle du parti communiste allemand (KPD) dans les années 30 faisant des sociaux-démocrates l’ennemi et facilitant la victoire d’Hitler. Marine Le Pen n’est ni Hitler, ni Pétain, je l’entends bien. Mais c’est la République qui est en cause, cadre de l’intérêt général, comme ce fut le cas dans la République de Weimar.
Jean-Luc Mélenchon nous a dit le soir du premier tour qu’il n’appelait pas à voter Marine Le Pen mais qui pensait qu’il s’apprêtait à le faire ? Et on applaudit.
Fort de ce lâche soulagement, il ne donna pas de consignes de voter pour Macron « avec un pince-nez et des gants » comme il l’avait dit à propos de Chirac face à Jean-Marie le Pen.
Ce sera donc l’abstention alors que nous sommes entre 45 et 47 % pour la candidate de l’extrême-droite.
Cela n’aura que peu d’importance si Macron l’emporte. Souvenons-nous quand même que Mélenchon passera de 19 % à la Présidentielle à moins de 10 % aux législatives en 2017 à cause de cette attitude. Mais cela sera instrumentalisé par la droite si Marine Le Pen gagne grâce à l’abstention des insoumis.
La Gauche en sera impactée. Le Pays en supportera les conséquences. Plus que quelques jours ...