La Gauche va-t-elle vivre son année zéro ? Sans dessein pour la France ? Sans ressorts ? Vivant dans les remords ?
Formidable clin d'œil de l’Histoire, alors que nous vivons l’Année des anniversaires de la Gauche : la Commune de Paris, le Congrès de Tours, le Congrès d'Épinay.
Au moment où les régionales annoncent le tournant obscure de l’Histoire française avec la tentation lepéniste, où la gifle au Président Macron marque un pas de plus dans la déconstruction républicaine, avec un signifiant - État de cessation - signifié symboliquement et violemment.
Ce que l’essayiste Maxime Tandonnet appelle dans le Monde « la désintégration de la société française ». La Gauche, dans ce moment, est hors-jeu et hors-sol.
Il y a de nombreuses raisons à cela. Nous sommes contemporains à la fin d'un cycle, ou plutôt de trois. Nous assistons à l’empilement de la fin des révolutions et des colonisations, puis, celle de l'État-providence et de la redistribution, et enfin la fin du cycle d'Épinay, ouvert par Mai-juin 68 et l'Union de la Gauche dans le cadre du bipartisme. Le tout dans un éclatement sociologique où la classe ouvrière n'occupe plus la position centrale et majoritaire.
Autant dire que les raisons dites objectives pour porter le discours de Gauche et son messianisme social ou écologique se sont effondrées.
L’injustice, les inégalités, l’exploitation, le racisme, l’antisémitisme, la catastrophe libérale et les dégâts écologiques, tous existent, mais rien n'est moteur, faute de projets novateurs et mobilisateurs à Gauche.
La demande sociale est éclatée en segments contradictoires, voire concurrents et l'offre politique n'a plus de dessein unifiant.
La Gauche n’aurait-elle pas de programme ? Non. Elle en a à revendre. Toutes les formations, les clubs, les syndicats, les plates-formes ont des propositions. Ce sont les mêmes, avec les mêmes attendus programmatiques, datés fondés sur des cycles historiques caducs.
Entre-temps, la Gauche a gouverné et les promesses des révolutions se sont envolées ou ont dégénéré. Les gauches ont, certes, modifiées la France, comme elles ont changé l'état du Monde. Mais elles ont aussi profondément déçu de nombreuses générations. Quant aux plus jeunes, ils n'ont pas ou plus les références de leurs aînés. Le débat sur la laïcité est en ce domaine éclairant.
L'effondrement de l'URSS, la conversion de la Chine au libéralisme autoritaire, la montée des pays dits émergents, des pétro-États, la mondialisation des échanges, la victoire du capitalisme financier, et enfin la Révolution de l'immatériel ont fait éclater la Gauche.
La déconstruction républicaine, l'individualisme consommateur, le vertigineux écart des salaires et des richesses, le précariat et la grande pauvreté, le chômage, la montée des communautarismes et des racismes, les violences urbaines, le terrorisme islamiste, et même l’éclatement de l'offre médiatique et la toute-puissance des réseaux sociaux ont achevé de mettre la Gauche à terre façon puzzle.
Le moteur de la Gauche fait d'extension de l'État-providence et des libertés s'est cassé dans cette surchauffe de défis.
La Gauche est à nouveau traversée par de nombreuses chapelles et personnalités. Comme en 1905, avant l'unification dans la section française de l'Internationale socialiste, nous sommes retournés à l'époque antihistorique de la Gauche.
Je n'évoque pas les positions de celle-ci dans les collectivités locales, toujours puissantes. Je n’évoque pas non plus sa densité sociale, même hétérogène, toujours présente. J'évoque sa réalité politique évanescente.
La Gauche oscille entre oblomovisme et activisme, hors des temps présents, sans centre de gravité ou force propulsive.
Les 4 familles de Gauche et leurs sous-familles se font une guerre sans merci. Les gauches, dites de gouvernement, les gauches écologiques, les gauches radicaux, et les gauches puritaines nouvellement venues avec le « wokisme ».
Leur point commun réside dans une radicalité à Gauche, au moment où le pays dérive à droite. Leur objet n'est pas de répondre à la crise française, mais de trouver notre Bernie Sanders.
Le national populisme est idéologiquement majoritaire faute d'un dessein d'une Nouvelle société. Mais la Gauche vit dans l'impression rétinienne de sa toute-puissance des années 1960.
La Gauche a subi un revers électoral majeur lors des législatives de 2017 : les écologistes disparaissent, les socialistes réduits à 30, les communistes une poignée, la France insoumise en chute libre de 19 % lors de l’élection présidentielle de 2017 à 10% aux législatives.
Dans le même temps, les mouvements sociaux ne l'emportent sur rien. Et la Gauche passe au travers du mouvement des gilets jaunes, incapable de lui offrir un débouché.
La Gauche est donc idéologiquement fragmentée, ses valeurs sont minoritaires, et son offre politique datée.
Le paysage politique est lui biaisé. On joue masqué.
L'extrême droite du RN cache son projet xénophobe et nationaliste, pour ne pas effrayer une droite en passe d'être totalement gagnée à ses thèses. Il suffit de se pencher sur le 2ème tour de l'élection partielle dans le Pas-de-Calais où l'extrême droite a pris 14 points dans l'entre-deux tours ou la manière dont Mariani siphonne l'électorat des Républicains rétifs à l'alliance avec les Macronistes. Pour comprendre que la stratégie masquée du RN fonctionne dans un pays profondément troublé, les libéraux, eux, cachent leur programme, sous le « quoi qu'il en coûte » déversant des annonces de tonnes d'argent public sur la moindre crise.
La vie politique est verrouillée par une apparence : le conflit entre les nationaux populistes et les libéraux. Mais la réalité de la vie politique républicaine et sociale va reprendre ses droits dans les mois et les années à venir. D'autant que, la parenthèse de la covid-19 se referme et les conséquences économiques et sociales de la pandémie s’ouvrent.
On a pensé avoir trouvé la martingale pour verrouiller la question sociale et maintenir au pouvoir la 2ème droite Macroniste en kidnappant le débat politique dans un face-à-face Macron le Pen, au risque de la victoire de cette dernière.
Le choc politique et social que représenterait cette victoire provoquerait, d'ailleurs,
une accélération dans la recomposition à la Gauche. Mais, tout autant, la victoire du programme caché du libéralisme macronien reste un alignement de la France sur le modèle anglo-saxon dans les 10 ans à venir (thème récurrent chez Macron). Il suffit de regarder le débat sur les retraites, conséquence de nos déficits, sous le regard de plus en plus inquiet des Allemands.
Enfermer le débat dans le duo pôle RN / LREM, c'est verrouiller la cocotte-minute sociale qui explosera quelque soit le résultat.
La France va connaître un choc sous une forme ou une autre. Et le seul moyen de le conjurer, c'est l'émergence d'une nouvelle de la Gauche responsable et unitaire.
Le besoin de Gauche est donc là.
Conjurer la catastrophe du choc lors de la Présidentielle, offrir une solution praticable sociale écologique au pays lors de la présidentielle ou après celle-ci, combattre sans financer le moment national populiste d'extrême droite, et au-delà, construire une Nouvelle société autour d'un Nouveau contrat social et une République impartiale.
La stratégie, c'est l'affirmation d'une Gauche responsable renouvelée dans ses thèses ou ses attendues. J'en ai proposé 10 https://www.nouvellesociete.fr/theses
C’est une nouvelle Gauche responsable ! C’est le départ de tout. Je dirais même qu'il s'agit de l'urgence absolue.
Pourquoi ? Le centre de gravité de la Gauche ne peut pas être La France insoumise. Cela tient à sa stratégie, son offre politique et à son chef. Sa stratégie, c'est le populisme de gauche, visant à récupérer l'électorat ouvrier parti au RN par un combat principal, « contre la gauche et les écologistes pro-oligarchies ». Ceci en déplaçant le débat Droite / Gauche à une contradiction Peuple / Elite, rejoignant ainsi Marine le Pen. Mais cette dernière occupe électoralement le cœur de cette lecture. Le mélenchonisme est donc voué à l'échec ou au mieux a confirmé le clivage : nationaux populistes / libéraux. Le refus récurrent depuis la présidentielle de 2017 d'appeler à voter contre le Rassemblement national est le pendant de cette stratégie.
Quant à l'offre populiste de gauche, consciemment ou inconsciemment, elle ne vise pas à gouverner mais à constituer le peuple, à l'émanciper autour de mesures de rupture.
Jean-Luc Mélenchon vient, lui, de nous faire une rechute avec sa sortie complotiste qui en dit long sur son pessimisme « on va nous sortir un nouveau candidat de l’oligarchie. (...). Dans la dernière semaine, un fait divers fera voter (...) ». Il prépare et se prépare à la défaite et cela ne va pas s'améliorer... L'échec de D. Simonet dans une circonscription, pourtant la plus favorable à LFI, est une des manifestations de l'impasse des mélenchonistes. Mélenchon n'est ni la solution pour la Présidentielle, ni la solution pour la reconstruction de la Gauche. Il en est son point mort, son point aveugle. Pour autant, il ne sert strictement à rien de tenter de déloger Mélenchon du pôle de radicalité qui stagne depuis 2002 à 12 % (Robert Hue, Besancenot, Arlette Laguiller). Seul l'effondrement de la candidature, soutenue par le PS, lorsque Benoît Hamon a permis à Mélenchon d'aller jusqu'à 19 %.
L’appel à manifester de Mélenchon ce week-end contre l'extrême droite dans un texte non signé par le PS, le PCF les Radicaux, voire les Confédérations Syndicales qui, non seulement défendent la direction actuelle de l'UNEF, mais ne citent ni la République, ni la laïcité, ni même l'antisémitisme, est illustratif d'une stratégie « pôle de radicalité ».
Il faut donc se concentrer sur l'offre d'une nouvelle Gauche responsable.
Le futur centre de gravité ne peut pas être non plus les écologistes. Tout simplement parce qu'ils refusent de rompre avec la décroissance et veulent mettre la Gauche en résonance avec toutes les radicalités.
Regardons lucidement les résultats des sondages en PACA et dans les Hauts-de-France, la Gauche unie derrière les écologistes ne fait pas le plein des voix à Gauche. Elle ne crée pas de dynamique face au Rassemblement national. On a voulu plaquer les municipales - scrutin local - sur des élections qui sont déjà pré-présidentielles.
Accessoirement, les écologistes veulent dominer électoralement le Parti socialiste ce qui les conduit à la désunion face à la droite ou Macron et l’extrême droite.
Il faut donc une Gauche responsable décomplexée vis-à-vis des radicalités, nécessaires pour imposer l’unité.
L’urgence serait un comité de salut public pour refonder d'ici l’automne une nouvelle Gauche responsable dans une nouvelle maison commune.
Pour se faire, j'ai proposé un triptyque : République impartiale, nouveau contrat Social et Ecologique, France d'influence. C’est mon point de départ pour une Nouvelle société, une société décente qui fait de l'intégrité humaine son fil à plomb.
Une candidature unique à la Présidentielle, nous dit-on, serait bientôt la perspective ? Ne rêvons pas, ni Mélenchon ni les écolos renonceront à leur offre Présidentielle, quitte à faire perdre la Gauche.
Il faut donc fabriquer un Biden français, soit en se rassemblant autour d'une personnalité capable de porter cette nouvelle offre, soit en provoquant un débat devant l'opinion et tranché par les tenants de cette stratégie d’affirmation.
Il faut faire 3 en 1 : Construire une offre nouvelle, dépasser le PS dans une formation nouvelle, donc changer de sigle et de mode d'organisation, et travailler à la fédération des gauches et des écologistes autour de ce « mall ».
Ce qui veut dire abandonner toute perspective unitaire ? Non, il faut déplacer son objet. En œuvrant au grand jour pour une plate-forme gouvernementale unitaire et une alliance aux législatives. Personne ne peut s'extraire de cette échéance à Gauche, sinon c'est la disparition. Elle est praticable avec les écologistes, même si ces derniers devront rompre avec leur radicalité et la décroissance. ll s'agit de gouverner, pas de témoigner. Il est peu probable que les Radicaux et le PCF s'extraient de cette solution. C'est la constitution d'un pôle utile à Gauche.
Mélenchon sera contraint de s'y associer sous une forme ou une autre. Et s’il refusait, il suiciderait sa formation politique. Ce n’est pas le sujet central.
C’est ce que Mélenchon aurait appelé dans sa jeunesse « une mise au pied du mur ».
Et cette démarche unitaire rejaillirait sur la Présidentielle et notre Biden à la française rééquilibrait le débat politique français.
S'ouvrirait ainsi un nouveau cycle politique à Gauche où une Gauche conséquente fiable et réaliste se refondrait.
Nous travaillons discrètement mais sûrement à cela.