Phénomènes de bandes, trafic de stupéfiants, grand banditisme... "Aucune vision d'ensemble ne se dégage aujourd'hui pour répondre au fléau de la montée des violences", dénoncent Patrice Bergougnoux, Jean-Christophe Cambadélis et François Rebsamen, respectivement ancien directeur de la police nationale, ancien premier secrétaire du Parti socialiste et maire de Dijon. Ils déplorent "la désertion des quartiers populaires par les services publics, et en dernier ressort par les services de police". Voici leur tribune.

"La multiplication des violences et des rixes mortelles interpelle les responsables politiques de tous bords et particulièrement le gouvernement qui est en charge de la sécurité des personnes et des biens, principe à valeur constitutionnelle et première de nos libertés.

Aujourd'hui, ces phénomènes criminels d'un nouveau genre constituent la principale source d'inquiétude de nos compatriotes, qu'ils habitent en ville ou dans nos villages. Tous, en effet, sont concernés par l'irruption brutale des actes de violence dans leur vie quotidienne.

"Aucune vision d'ensemble ne se dégage aujourd'hui pour répondre au fléau de la montée des violences"

Bien qu'organisés, systématiquement, sur place après chaque évènement dramatique, les déplacements ministériels et leurs cortèges de képis et de casquettes étoilées ne suffisent guère à rassurer une population en colère qui exige des résultats concrets et une meilleure sécurité. Pas plus qu'ils suffisent à masquer l'impuissance des pouvoirs publics, nationaux ou locaux, à faire respecter la loi républicaine.

Aucune vision d'ensemble ne se dégage aujourd'hui pour répondre au fléau de la montée des violences.

Les données sont là ; elles sautent aux yeux. La désertion des quartiers populaires par les services publics, et en dernier ressort par les services de police, a constitué une erreur majeure que nous avons déjà payée au prix fort à travers la vague d'attentats terroristes de 2015. N'oublions pas que ces actes atroces, s'ils ont été organisés de l'extérieur (de Bruxelles), ont été commis à l'intérieur de nos frontières par de jeunes Français, nés dans notre pays et qui ont grandi dans nos cités. Et nous continuons à en payer le prix avec l'émergence de  bandes organisées qui se manifestent par des actions ultra violentes sans que les services spécialisés parviennent à les prévenir, encore moins à les empêcher, faute d'avoir suffisamment investi de moyens de combattre ces nouvelles formes de délinquance qui préfigurent le grand banditisme des années à venir.

"La clé de la réussite de l'action policière dans les cités réside dans un renseignement efficace qui n'est possible qu'à la condition d'y associer la population"

Le gouvernement annonce, et c'est une bonne nouvelle, la présentation d'un plan d'actions contre les bandes, le 1er mai prochain. Souhaitons qu'il soit à la hauteur du défi. La clé de la réussite de l'action policière dans les cités réside dans un renseignement efficace qui n'est possible qu'à la condition d'y associer la population. Il faut savoir écouter, être au contact des habitants qui subissent quotidiennement ces contraintes.

Comme aux Etats-Unis, ces quartiers sont investis par des groupes criminels qui veulent sanctuariser leur territoire et empêcher toute intrusion, et surtout tout regard extérieur sur leurs activités, au besoin par le "caillassage" des véhicules de police et de secours.

Les zones de sécurité prioritaires (ZSP), mises en place  en septembre 2012, allaient dans le bon sens ; leur objectif était de mobiliser tous les acteurs disponibles sur un territoire concentrant les difficultés, sous l'autorité du Préfet et du Procureur de le République. Elles s'appuyaient sur une conception innovante de l'action publique. Au fil du temps, la routine s'est installée là où une adaptation constante et une vigilance permanente auraient été indispensables pour éradiquer un phénomène criminel qui est maintenant profondément enkysté. La "police de sécurité du quotidien" mise en place au début du quinquennat n'a pas changé la donne. 

Pour casser les bandes, il convient d'inventer de nouveaux dispositifs opérationnels. Au début des années 90, ces bandes étaient le plus souvent itinérantes, à l'image de celles qui sévissaient dans le RER francilien. Elles ont été réduites par l'action conjuguée de la Préfecture de Police de Paris et d'une brigade spécialisée, créée par le gouvernement de l'époque et forte de 500 fonctionnaires spécialement recrutés à cet effet.

"En se retirant, les services publics ont, pour leur part, abandonné la partie"

Des bandes sédentarisées sont ensuite apparues, leur "territoire" devenant leur principal signe de reconnaissance, et son contrôle, le principal critère d'identification. Leur premier objectif est ainsi de tenir la police à distance, à l'instar des bandes américaines qu'elles imitent. Aux Etats-Unis, les autorités ont pris très au sérieux cette menace intérieure. Le FBI a même fait une exception aux mesures prises après le 11 septembre 2001 pour concentrer toutes les forces disponibles à la lutte anti-terroriste, et a créé une "task force" spécialement dédiée à la répression de l'activité criminelle des bandes. Un exemple à suivre en France, alors que certains quartiers  évoluent  à grands pas vers une situation dramatiquement semblable. Pour les habitants de ces quartiers, l'existence des bandes constitue en effet la principale préoccupation en termes de sécurité, d'autant que celles-ci gagnent en puissance plus librement, le "milieu" traditionnel cédant chaque jour un peu plus de terrain à cette jeune et tentaculaire concurrence issue des cités.

En se retirant, les services publics ont, pour leur part, abandonné la partie. Leur retrait est pour beaucoup dans le basculement de nombre de jeunes dans cette délinquance, et pour une poignée d'entre eux, dans la radicalité.

Depuis la suppression – sur injonction de Nicolas Sarkozy - de la police de proximité en 2003, la police n'est en effet jamais vraiment revenue dans ces quartiers et n'y va plus aujourd'hui que pour des interventions d'urgence, et avec les attributs du maintien de l'ordre et de la répression. Comment dans ces conditions, rassurer les habitants et renforcer le lien avec la population? Au-delà d'un certain stade, la situation ne sera plus tout à fait maîtrisable.

Et dès lors, comment sortir de cette impasse? En imposant des règles de vie commune plus strictes ; en organisant le retour des services publics ; en mettant les moyens nécessaires pour endiguer le trafic de stupéfiants avec une planification conjointe de l'action de la police et de la justice.

En effet, le trafic de stupéfiants présents dans les quartiers des villes constitue un vecteur des troubles à la tranquillité publique, particulièrement quand il est adossé à un hall d'immeuble ou de manière plus élargie quand il est bien implanté dans un "ilot résidentiel", il peut aussi agir comme un catalyseur de l'activité délictuelle.

Plus précisément, le trafic de stupéfiants se caractérise par une appropriation par les "dealers" de l'espace public ou de l'espace privé ouvert au public, dégradant les conditions de vie et se traduisant parfois par des actes d'intimidation envers les habitants de ces quartiers, avec des agressions fréquentes contre les forces de l'ordre.

"L'heure est à la définition d'un cadre financier pluriannuel pour répondre aux priorités opérationnelles des services de police et de gendarmerie"

A-t-on la volonté politique de mettre en œuvre de telles mesures?

C'est à ce grave enjeu que doit répondre "le Beauvau de la sécurité", décidé par le président de la République et animé par le ministre de l'Intérieur.  En même temps qu'il lui faut apporter la réponse attendue pour l'amélioration de la condition policière et la valorisation des différents métiers de la police et de la gendarmerie.

Plus que jamais, l'heure est à la définition d'un cadre financier pluriannuel pour répondre aux priorités opérationnelles des services de police et de gendarmerie, renforcer leurs moyens humains, enfin développer les investissements et acquérir les matériels nécessaires à l'accomplissement de leurs missions.

L'enjeu est vital : la montée des violences est un défi majeur lancé à l'autorité de l'Etat républicain et une mise en cause insupportable de nos valeurs. Un défi majeur que la France doit impérativement relever.

Tels sont les objectifs d'une République impartiale."

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