6. L’EUROPE COOPERATIVE

Le choix européen est stratégique. Il est le premier échelon de la théorie des ensembles pour une stratégie d’influence. Il est déterminant dans le monde multipolaire. Il est fondamental face à la tentation de lui substituer un nouveau monde bipolaire sino-américain.

Si l’Europe a géré sans guerre la fin de l’Empire soviétique, elle peut peser dans le monde tel qu’il est et créer un espace de civilisation, un Etat social, un Etat de droit, de défense du climat, des libertés individuelles et économiques dans un monde dominé par le marché.

La difficulté européenne vient de sa crise qui menace l’édifice. La construction européenne par le marché fut un succès provoquant une intégration évidente : normes, monnaie, échanges, circulation, paix. Mais, sous l’impulsion de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, ce schéma a dégénéré en un libre marché libéral au détriment de la solidarité.

La France doit porter une Europe des progrès. Le départ de l’Angleterre et le tournant Allemand suite à la COVID-19 sur le sujet des déficits offrent cette possibilité.
L’heure est maintenant à une RELANCE DU PROJET EUROPÉEN PAR DES PROGRÈS DANS
L’HARMONISATION FISCALE, LA PROTECTION SOCIALE ET DU DROIT DU TRAVAIL.

UN SERPENT FISCAL EUROPÉEN DOIT ETRE LA PREMIÈRE MESURE.

Plus largement, la France ne peut courir après une subsidiarité qui se heurte aux égoïsmes nationaux. Sans pour autant donner les résultats d’intégration escomptée, il faut lui substituer une stratégie coopérative sur des projets concrets.

La France doit aussi porter une Europe plus démocratique. Le triangle institutionnel entre le Conseil, la Commission et le Parlement doit être tranché. Le pouvoir doit s’établir dans une relation entre la Commission et le Parlement. La commission doit être co-désignée par le Parlement et le Conseil, à commencer par le Président qui doit venir de la majorité parlementaire. Ce Conseil doit devenir un Sénat avec droit de veto et non plus le lieu des arbitrages des antagonismes nationaux.

Dans le même temps, l’approfondissement de la gouvernance économique est nécessaire. La France doit exiger d’accroître le budget européen de la recherche & développement en l’autofinançant par une taxation des GAFA. L’objectif sera un géant européen de l’Internet et du commerce en ligne, l’autonomie énergétique verte, et la construction de drones européens.

Enfin, la France se battra pour la relance nécessaire du projet de corps européen de solidarité, à l’image du « Peace corps » américain.

La France doit faire prévaloir des priorités stratégiques pour l’Europe. Cela commence par relever le défi migratoire. On ne peut en ce domaine se laisser aller à la politique du chacun pour soi alors que pour les déficits, l’Europe est capable d’imposer des normes contraignantes discutables. La France doit promouvoir une nouvelle politique vis-à-vis de l’Afrique pour prévenir un éventuel « tsunami migratoire ».
Il faut une politique européenne des migrations et une Agence européenne de l’asile qui devra répartir en Europe les flux et renforcer la protection de nos frontières extérieures (Frontex).

L’Europe de la défense est le dernier grand chantier de l’Europe que nous devons porter pour la décennie.

Le débat sur l’OTAN est obsolète. Les mêmes raisons qui ont conduit la France avec le Général de Gaulle à quitter l’OTAN - à savoir la préservation de notre indépendance stratégique - doivent nous conduire à l’Europe de la défense. Dans l’OTAN ou à côté, tout cela est secondaire. Trop forte mais trop seule pour exercer sa propre défense ou projection, la France doit penser à la mutualisation. Elle préconisera, pour commencer, un « Conseil européen de la défense ».
Il s’agira évidemment de protéger les européens mais aussi de prévenir ensemble la guerre du pacifique, la guerre énergétique eurasienne, le choc intégriste, la guerre insidieuse du soft power, le cyberespionnage. Mais surtout, il nous faudra INSTAURER UNE « CYBER MURAILLE » protégeant les données personnelles des citoyens et les données stratégiques des entreprises et des administrations.

Tout cela ne sera possible sans rééquilibrer notre relation avec l’Allemagne. La relation avec notre premier partenaire a évolué avec la réunification et au gré d’orientations et de performances économiques souvent divergentes de nos deux pays dans les années 2000. Si l’Allemagne s’est défiée d’une France « budgétivore », si la France s’est agacée d’une Allemagne austéritaire, les deux pays, face à la montée du protectionnisme américain, de l’expansionnisme chinois, du retrait anglais, du bellicisme russe, des flux migratoires ou de l’Islam fanatique, comprennent, désormais, qu’ils ne semblent pas en mesure de jouer seuls, ni en Europe ni dans le monde. Il n’y a pas d’alliance de rechange, ni d’autres moteurs, même si la France doit chercher des relais de ses positions.

La France doit poser la question d’une relation équilibrée à partir d’un plan global d’approfondissement européen.

Mais la France ne saurait attendre ce rééquilibrage pour ouvrir un nouveau champ stratégique.
Si la Méditerranée est un horizon complexe, il est essentiel pour la France, première puissance méditerranéenne, et pour l’Europe. C’est un espace fracturé, Balkans, Libye, Syrie, Turquie, Israël/ Palestine etc. Pour autant, il est stratégique pour l’Afrique, relai de croissance mondiale dans les vingt ans à venir et pour réguler les défis migratoires.

Il existe une série de « causes communes » qui pourraient aussi faire engrenage : la gestion de la Méditerranée et des terres rares, les échanges universitaires, la transition énergétique, et même un programme numérique commun Europe/Méditerranée/Afrique.

Si l’Allemagne a pu gérer avec intelligence l’Europe Centrale sans que nous ayons trouvé à redire, nous devons pouvoir organiser l’espace Sud de l’Europe pour notre bien et celui de la communauté.