2. LA FRANCE EST PLUS GRANDE QU’ELLE-MÊME

Beaucoup trouvent cela présomptueux pour un pays qui représente 1% de la population mondiale et 3% du PIB. Un ambassadeur des États-Unis en France disait il y a quelques années : « il n’y a pas un pays au monde où mon pays ne trouve pas un ambassadeur français qui a un avis sur tout. » Arrogance ? Suffisance ? Une Nation qui se prendrait pour ce qu’elle n’est pas ?
Évidemment, il y a dans le monde des pays pour qui vivre dans le ventre mou des Nations n’est pas un problème. La France ne l’entend pas ainsi, pour le meilleur ou pour le pire. Ce fut son histoire.

Mais ce destin planétaire, au nom d’un message universel, celui de l’Egalité, de la Liberté, de la Fraternité, est mis à mal par la religion du marché et le poids économique de la France dans ledit marché.

Il ne s’agit pas de se considérer comme une puissance moyenne, comme le disait le président Valéry Giscard d’Estaing, ou bien de faire croire aux Français que nous sommes l’égal des superpuissances, comme le professait le Général de Gaulle.
Il s’agit de savoir ce que nous sommes et ce que nous avons à dire. Puis, de savoir le dire et avec qui.
Dans un de ses messages à Washington où il s’était rendu après avoir quitté le pouvoir, François Mitterrand explorait la nécessité de réfléchir aux ensembles en matière diplomatique. C’est le chemin qu’il nous faut explorer.

Certes, il n’y a pas de puissance d’influence durable sans puissance tout court. Mais celle-ci ne se mesure pas ou pas seulement en puissance économique.

La France a de nombreux atouts pour exercer une influence dans le Monde. Elle a cinq piliers qui lui permettent « d’exister ».

• Le premier pilier est le Peuple français.

Si la crise sanitaire a montré une chose, au-delà des manques, c’est bien les qualités de résilience et de rebond des Français.

La France - ou les Français – c’est un savoir-faire reconnu dans le monde entier : le génie civil, l’aéronautique, l’espace (Ariane), le luxe, la gastronomie, l’agro-alimentaire, la grande distribution, l’automobile, le son, le bâtiment, le design, les jeux vidéo, les dessins animés et même nos start-up qui s’exportent très bien. On pourrait ajouter le tourisme, première destination au monde ou notre attractivité dans le domaine économique pour les investissements étrangers.

Il faut y ajouter la démographie, même si nous constatons un léger reflux dans ce domaine. La France va devenir le pays le plus peuplé de l’UE en 2050 avec 75 millions d’habitants. Il faut ajouter que la présence de très nombreux Français à l’étranger constitue un point d’appui non négligeable. On sous-estime le levier par la culture et l’économie qu’ils représentent. Enfin, l’apport des populations issues de l’immigration et les immigrés, s’il est en crise violente pour des raisons culturelles ou cultuelles, est globalement positif pour la France, son avenir et son rayonnement dans les pays d’origine. Il ne faut pas confondre la laïcité, qui est pour le moins questionnée, de la sécularisation, qui est incontestable pour l’immense majorité.
Et les cristallisations séparatistes au nom d’un Islam fanatique ne sauraient entraîner la France dans une séparation des Français de culte ou de culture musulmane. Le racisme ne saurait être prétexte de ne pas voir l’Islam fanatique et l’Islam fanatique ne saurait être prétexte à un racisme. (Cf. Mémorandum pour une République impartiale)
Ces enjeux démographiques sont vitaux dans un monde qui pourrait être peuplé de plus de 9,7 milliards d’humains en 2050.

• Le deuxième pilier, c’est l’économie.

La France est actuellement la 6e puissance économique mondiale, même s’il y a un décalage entre l’importance de ses entreprises multinationales et la situation économique à proprement dit du pays. La France est un pays très riche où il y a « trop de pauvres » pour reprendre la formule de Lionel Jospin. La France reste un acteur incontournable qui a fait le tournant de la révolution de l’immatériel plus tard que d’autres en cherchant à imposer son modèle avec le Minitel ou le Bi-Bop. Mais elle rattrape son retard à toute vitesse. L’économie française a les moyens, les chercheurs, les infrastructures et le marché européen pour participer en première ligne au big-bang écolo-numérique à venir.
L’épargne des Français est considérable. Elle s’est encore renforcée durant la crise sanitaire. L’investissement français dans la pierre l’est tout autant. Et la capacité boursière va croissant alors que notre système bancaire est le plus puissant d’Europe.

• Le troisième pilier, c’est le territoire : 41e mondial, et 2e puissance maritime.

Notre territoire est moyen mais notre présence est grande : voilà ce qui le résume. La France est un pays tempéré qui n’a ni problème d’eau, ni problème d’électricité. Si on ne trouve pas de pétrole, il y a de tout, et même du gaz ! Le génie français nous a doté de centrales nucléaires qui font baisser la facture énergétique malgré les risques. La France a même inventé un système de production hydroélectrique en système fermé, le plus important au monde. L’équivalent de quatre centrales nucléaires !
Notre pays est concerné par les défis écologiques tels que l’épuisement des ressources, l’effondrement de la biodiversité, les dérèglements climatiques, malgré les retards en ce domaine à l’aune de l’exigence planétaire. Nous faisons partie des pays les plus impliqués dans la lutte pour le climat, au point d’avoir nos scientifiques primés par le Nobel en ce domaine.
Notre puissance maritime fait de la France sur toutes les mers et tous les océans une force incontournable. On trouve des bâtiments arborant pavillon français sur toutes les mers du monde et il n’est pas rare que les bâtiments de croisière aient été construits dans les chantiers navals français.

• Le quatrième pilier est essentiel pour notre puissance, c’est le pilier diplomatique et militaire.

La France est et doit rester un membre permanent du Conseil de sécurité. La prise de position de la France, contre la deuxième invasion de l’Irak par les Américains, a été applaudie aux Nations Unies par une majorité de pays.

Si la France est fidèle à ses alliés, nous l’avons vu lors de la guerre des Malouines ou lors de la coalition contre « l’Etat islamique » en Syrie, en Irak, ou au Mali, elle ne s’est pas subordonnée ou ligotée dans une alliance. Son retour dans l’Otan ne s’est pas accompagné d’un alignement. Même si l’on peut regretter l’absence du pilier européen dans cette alliance qui laisse aux États-Unis une marge de manoeuvre transformant cette coopération défensive en bras armé de la politique de puissance américaine.

En Europe, le couple franco-allemand est moins équilibré qu’il ne devrait, notamment parce que le compromis historique réalisé avec l’Allemagne à l’occasion de l’Euro et de Maastricht se révèle favorable à cette dernière et aux intérêts d’une population rétive à l’inflation, l’investissement dans les infrastructures et l’avenir. L’Allemagne est favorable à l’Euro fort et à l’orthodoxie budgétaire. C’est pour l’instant cette conception de l’Europe qui l’emporte.
La France a ressenti durement le manque d’implication de l’Allemagne dans le conflit Malien contre le terrorisme islamiste ou la décision unilatérale d’accueillir 800 000 syriens déstabilisant un peu plus le débat national français. Sa rigidité budgétaire vis-à-vis des déficits tranche avec son aveuglement sur ses excédents. Notre pays est le premier partenaire commercial de l’Allemagne et cherche dans tous les domaines un accord avec cette dernière pour faire avancer l’Europe. Il fut son meilleur soutien lors de la réunification et se tient aux côtés de l’Allemagne dans tout ce qui concerne l’ost politique.

Lorsque nos deux pays sont unis, les grandes puissances prennent en compte la parole de la France car elle entraîne l’ensemble des pays européens.

La France est un pays ayant une puissance et un savoir-faire militaire reconnus, tant dans le domaine conventionnel que dans ses forces spéciales.

La puissance nucléaire de la France, seule sur le continent face à la Russie, nous confère une dimension de bouclier de l’Europe.

• Le dernier et 5ème pilier de sa puissance réside dans un magistère immatériel.

Il repose d’abord sur une langue, le français, qui est un vecteur essentiel d’influence. C’est la langue officielle des Nations Unies, elle est parlée dans 106 pays et territoires par plus 300 millions de personnes dans le monde et le sera par 750 millions en 2050. La francophonie est la première arme pacifique de notre influence car, au travers de la langue, c’est une culture, une histoire, des valeurs qui se véhiculent.
Le rayonnement de la France au-delà du tourisme, du savoir-faire français, s’incarne entre autres dans de grands établissements universitaires, scientifiques et culturels qui s’exportent bien (Sorbonne, Louvre, institut Pasteur etc.) et dans ses lycées à l’étranger, qui dispensent une formation de qualité pour les Français à l’étranger et souvent les élites de nombreux pays.

Les travaux des chercheurs et intellectuels français sont enseignés dans les universités du monde entier.

Enfin, la littérature, le cinéma, le théâtre, l’art lyrique, sont reconnus dans tous les pays, y compris en Chine et aux États-Unis. Sans oublier le sport : football, rugby, cyclisme, handball, judo, natation, ski etc., qui font de la France une référence et participent de son image dans le monde.

Mais notre influence dans le monde repose d’abord et avant tout sur la défense des principes universels que sont l’esprit des Lumières et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il s’agit là du coeur de notre identité. Ces principes ont une signification concrète dans le respect des droits fondamentaux de la personne humaine ; la défense des droits des femmes et des minorités ; la défense des libertés fondamentales, dont la liberté d’expression aujourd’hui tragiquement endeuillée ; la recherche de la paix, du désarmement, du développement, mais aussi de la laïcité, qui est combattue par les anglosaxons d’une part et par les fondamentalistes religieux de l’autre. La France est un des seuls pays au monde à la pratiquer, ce qui fait sa singularité dans le concert des Nations. Ce principe, qui est à la base de la liberté de conscience et de la fraternité, donne à la France une place incontournable dans l’universel dans un monde complotiste et de plus en plus religieux.

En refusant de céder sur ses principes, la France est à la fois un repère et une référence pour les peuples.

Le Général de Gaulle disait qu’il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du Monde. C’est ainsi qu’il faut comprendre ce magistère bienveillant des droits de l’Homme.

Il ne faut pas faire des droits de l’Homme une politique diplomatique, mais il ne faut pas non plus s’asseoir dessus au nom du réalisme et faire de la France une Nation comme les autres. Il n’est d’ailleurs pas certain que cela renforcerait notre rapport de force dans le monde.

CES CINQS PILIERS SONT NOTRE BLOC D’INFLUENCE.

Nous pouvons à partir de là combiner souveraineté et associations.
Nous pouvons être solidaires sans être solitaires.
Nous pouvons construire une influence réelle sans rêver d’une impossible hégémonie ou d’un retrait derrière la ligne Maginot d’un souverainisme mécontent du monde.