Par Arthur Nazaret

L’ancien Premier secrétaire du Parti socialiste publie ce mercredi « Le Big Bang social-démocrate » (VA Editions). Prédisant la mort de la Nupes, il en appelle à la fondation d’un authentique courant social-démocrate. Impossible de ne pas aussi évoquer l’actualité de la gauche avec lui. Entre François Ruffin qui se repeint en social-démocrate, Olivier Faure menacé par le prochain congrès et Jean-Luc Mélenchon qui remonte sur son cheval, celui qui, au PS, a longtemps été surnommé « le Chat » ne se prive pas de quelques coups de griffes.

Dans votre livre, vous en appelez à un « big bang de la social-démocratie ». Mais, en France, celle-ci n’est-elle définitivement morte ?

La social-démocratie n’est pas morte, elle n’est pas née ! Le libéralisme a échoué, l’extrême droite est un danger et le populisme de gauche, une impasse. La thèse de mon livre, c’est que la social-démocratie n’a jamais existé en France aussi bien pour des raisons culturelles qu’historiques. Nous devons donc fonder une nouvelle gauche sur les décombres de la gauche de gouvernement. Pour y parvenir, nous devons fonder un nouvel imaginaire, une nouvelle stratégie et une nouvelle doctrine. Seule la social-démocratie avec une stratégie du compromis, la volonté d’une société décente, un respect de l’intégrité humaine, de la République impartiale et de l’esprit européen peut dénouer les crises multiples qui assaillent la France et les Français.

"La gauche doit enfin rompre avec son surmoi révolutionnaire qui aujourd'hui a pris la forme de la radicalité"

Entre Jacques Delors, Dominique Strauss-Kahn et François Hollande la social-démocratie n’a-t-elle pas au contraire dominée le PS jusqu’au tournant opéré par Olivier Faure ?

Il y a eu des réformistes, une gauche de gouvernement, des sociaux-démocrates dans le PS mais celui-ci ne s’est jamais vécu comme tel. En Europe, les partis sociaux-démocrates sont liés aux syndicats, pas le PS. Le parti communiste, longtemps dominant culturellement à gauche, imposait au PS de ne pas être sur une orientation social-démocrate. C’est ce que montre le congrès d’Epinay en 1971. Mitterrand s’impose en affirmant la « rupture » avec « la société capitaliste ». Il s’agit alors d’emprunter la rhétorique marxiste pour mieux dérober au PCF le feu de la rupture. La gauche doit enfin rompre avec son surmoi révolutionnaire qui aujourd'hui a pris la forme de la radicalité et des gauches « anti ». Ce que je démontre dans mon livre. 

Pour beaucoup, la social-démocratie est une forme de socialisme mou. L’heure n’est-elle pas plutôt à la radicalité ?
Notre radicalité, c’est de penser contre les vents dominants et contre le fétiche de la surenchère que la social-démocratie est l’avenir de la gauche. Qu’il faille une radicalité et une contestation frontale avec le libéralisme, bien sûr mais le refus de tout compromis empêche toute démocratie sociale. Au nom de la radicalité, on aboutit à l’immobilisme.

"Sans doute François Ruffin se rend-il compte que le populisme de gauche n’est pas la solution pour combattre l’extrême droite dans l’électorat populaire"

En une de l’Obs, et depuis quelques temps, François Ruffin se déclare « social-démocrate ». Cela vous fait sourire ?
François Ruffin voulait faire respirer La France insoumise. Il est en train de prendre un grand bol d’air hors de LFI. Dire, comme il le fait, que quand on est social et démocrate, cela ne fait pas de vous un « social-démocrate ». Il y a de l’intuition chez quelqu'un qui a accompagné les premiers pas de Nuit Debout. Sans doute se rend-il compte que le populisme de gauche n’est pas la solution pour combattre l’extrême droite dans l’électorat populaire. Mais d’une interview à l'Obs à une autre pour la Revue Éléments de Alain De Benoist, du Front populaire écologiste au libéral libertaire, il va falloir choisir. Si cela peut l’aider, je vais lui envoyer mon livre.

Si le PS reste dans la Nupes, ne faudra-t-il pas refonder la social-démocratie en dehors?
Aujourd’hui, l’orientation « En dehors de la Nupes, point de salut » est déjà minoritaire au PS. Donc la refondation se fera. Le PS ne peut pas être durablement sous l’emprise de La France Insoumise. Vis-à-vis de Mélenchon, le PS est actuellement en salle de dégrisement, comme l’ensemble de la gauche. Il faudra renégocier une union plus ouverte, plus populaire, autour des solutions. Pas autour de Mélenchon.

"Aux élections européennes, personne ne peut imaginer un tête-à-tête entre le PS et les Insoumis"

Qui peut incarner ce courant social-démocrate ? Bernard Cazeneuve semble s’activer.
Il a beaucoup d’atouts pour le faire mais le moment est d’abord à la refondation puis à une nouvelle union.

Ce pôle social-démocrate doit-il défendre ses propres couleurs aux élections européennes, loin de Mélenchon ?
Je n’imagine pas une seule seconde que le PS n’incarne pas la gauche européenne de manière disjointe de la France Insoumise qui a fait du souverainisme de gauche sa pierre angulaire. EELV partira de son côté, le PCF ne demande qu’à exister. Pour les européennes, personne ne peut imaginer un tête-à-tête entre le PS et les Insoumis.

Et si cela devait advenir, que se passera-t-il ?
Si le PS et LFI devaient aller ensemble aux européennes, il y aurait une deuxième liste, social-démocrate.

Alors que le congrès du PS arrive, Olivier Faure continue d’enfourcher le cheval de la Nupes. Il pourrait avoir un intérêt tactique à faire un pas de côté, non ?
Quand le vin est tiré, il faut le boire. Faure veut croire qu’il n’y a pas d’autres solutions et celle-ci lui va car, à ses yeux, elle lui permet d’être réélu dans sa circonscription et il pense pouvoir être plus tard le débouché de la Nupes.

"Mélenchon reprend l’offensive pour dire : en dehors de moi point de salut."

Ce congrès semblait écrit d’avance. Certains pensent aujourd’hui que Faure peut perdre. Vous aussi ?
Une grande partie de la majorité d’Olivier Faure a pris ses distances avec l’orientation actuelle de mélenchonisation du PS. Certains pensaient qu’il fallait accepter le coup tactique de s’allier mais une fois et une seule et juste pour sauver les meubles. Aujourd’hui, les mêmes constatent que la gauche mélenchonisée n’a pas la capacité de briser le duopole nationalisme-libéralisme.

Ce lundi soir, Jean-Luc Mélenchon sera en meeting à Clermont-Ferrand. Essaie-t-il par-là d’éviter son enterrement par ses petits camarades de la Nupes?
Il n’a pas échappé à Jean-Luc Mélenchon que la stratégie Nupes a échoué. Il n’est pas Premier ministre. Cette stratégie est contestée dans tous les partis membres de la Nupes. Clémentine Autain s’attaque à l’absence de démocratie de son propre mouvement et François Ruffin estime que la gauche a abandonné au RN les couches populaires. Ce qui est une pierre dans le jardin de Mélenchon. Le député de la Somme se met ainsi sur les rangs de la compétition à LFI et va accentuer la crise interne. Mélenchon l’a bien compris. Dans cette situation, il reprend l’offensive pour dire : en dehors de moi point de salut.

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