Il est de bon ton de dire qu’il n’y aura de refondation de la gauche que par une incarnation. C’est au fond le point commun de Hollande, Cazeneuve, Royal, Mélenchon, Jadot, voire même Montebourg qui amorce un retour. C’est, semble-t-il, les leçons de la Ve république, de Mitterrand, de Jospin ou de Hollande.  

Pourtant, lorsqu’on analyse de plus près, on constate que François Mitterrand prend pied dans la gauche via Épinay. Et ce congrès est à la fois la prise du nouveau parti socialiste, mais aussi le rassemblement dans le PS du CERES, des Mitterrandistes, des clubs, des amis de Poperen, des anciens de la SFIO, et de Gaston Deferre. Puis, en 1974, l’apport de Michel Rocard et de la CFDT, élargira encore le PS. Et donc, pour reprendre la formule de Jospin : « Mitterrand nous a fait autant que nous l’avons fait ». Le PS est un rassemblement qui ira en s’élargissant. 

Lionel Jospin, lui, ne gagne les législatives de 1997 qu’après les assises de la transformation sociale et l’invention de la gauche plurielle, où le PCF, les Verts, les Radicaux de gauche, les amis de Chevènement sont parties prenantes. Et c’est précisément le délitement de celle-ci qui conduit à 2002.

François Hollande triomphera bénéficiant du rejet de Nicolas Sarkozy, mais aussi grâce aux accords passés entre Martine Aubry et Europe Écologie Les Verts, les chevènementistes, les Radicaux de gauche etc. et à une certaine neutralité du PCF conduisant à celle de Jean-Luc Mélenchon. 

Et même si les Hollandais ont estimé que l’effet de cette alliance avec les écologistes et la gauche du PS, fut à la base des frondeurs, force est de constater que la stratégie du rassemblement a là encore donné la victoire. 

Dans le paysage balkanisé d’aujourd’hui, il ne me semble pas sérieux de penser que la gauche divisée peut l’emporter. On peut exister dans les sondages, mais la réalité de la division rend difficile l’accès au second tour et donc le gain de l’élection qui commande tout sous la Ve République. François Mitterrand avait construit une stratégie qui, par l’union de la gauche, submergeait un PCF verrou de la gauche, et permettait d’espérer l’emporter. Il faut donc une stratégie pour le moment actuel où c’est la fragmentation qui est le nouveau verrou. Il faut travailler à rassembler les électorats plus que les appareils et appareillons. Mais il faut faire avec eux. Et on ne peut le faire en leur demandant d’abjurer leur hostilité vis à vis des gouvernements Hollande, ou leur intimer l’ordre de se rassembler derrière le PS, qui celui qui détiendrait l’arme nucléaire des présidentiables. Le climat politique n’est pas à cela. 

Certes nous sommes sortis du rejet du printemps 2017. Mais il n’y a pas de désir pour de nombreuses raisons.

Le problème du PS tient au fait qu’il a perdu sa centralisé et sa domination. Ce n’est pas simplement un problème électoral même si ça l’est. C’est aussi un problème d’hégémonie culturelle. S’il détient encore un certain monopole de la culture de gouvernement, il a perdu l’hégémonie culturelle. La critique radicale du libéralisme, la question écologique, se sont hissées au niveau de la culture de gouvernement dans l’électorat de gauche. 

Et la synthèse socialiste a volé en éclat sous l’effet combiné de la crise du progressisme, coupée en deux entre les tenants de l’adaptation à la mondialisation et les " résistants" à celle-ci. Nous y ajouterons l’émergence des nouvelles radicalités, dont principalement celle de l’écologie, l’individualisme consommateur, la dépolitisation, et la puissance des réseaux sociaux minant les partis verticaux, mais aussi, il faut bien le dire, la dégénérescence à gauche de la culture de gouvernement en culte de la gestion abandonnant toute perspective de transformation.

L’effort doit donc porter, non sur le débat vain et obsolète « qui avait raison de 2012 à 2017 », mais bien sur les questions « quel nouveau cycle se propose d’ouvrir la gauche de gouvernement ? Quelle stratégie doit-elle mettre en avant pour conquérir le pouvoir ? Quelle société propose-t-elle et quelles solutions nouvelles aux maux de la France et des Français ? » Ou pour être dans le vocabulaire du moment : « Quelle offre nouvelle pour des temps nouveaux ? ».

La Gauche de gouvernement doit revenir dans la gauche avec une offre totalement renouvelée pour espérer en être le débouché. 

Il ne s’agit pas de disparaître dans un ensemble sans forme et sans fond, mais de se fondre tout en se distinguant par un renouveau doctrinal. Et croyez-moi en 1971 ou 1995, ce n’était pas plus simple. En 1973 dans le grand mouvement de la jeunesse scolarisée contre la loi Debré sur les près de 800 délégués de fac, Il n’y avait qu’un seul socialiste, et en 1976 il y avait 4 observateurs sur 1200 délégués. Et à chaque fois, parce que j’avais laissé une place ou invité les représentants du PS. En 1994 on recevait des poubelles et des cannettes de bière dans les manifestations. On voulait même nous interdire de manifester. François Mitterrand était traité de Versaillais dans les meetings de la gauche.  Et Legarec représentant le PS dans les meetings unitaires, ne pouvait finir ses discours ...Cinq ans plus tard il était ministre

Certes l’époque n’est plus la même. La désidéologisation a fait son œuvre. Les partis sont affaiblis. L’émiettement est total. 

Le problème est pourtant le même : rassembler sur un nouvel axe. 

Il s’agit de remailler, voire créer un écosystème en prenant la gauche comme elle est. Et non comme elle était.

Et si on veut des références, la gauche n’est pas dans les années 1970 surfant sur l’après 1968, mais en 1965 après la déroute et même le schisme de 1958. Et en plus, le mouvement ne va pas vers le PS ou les partis : il est horizontal. 

Il suffit pour s’en convaincre d’observer les mouvements sociaux.

Trois nouveaux mouvements sociaux ont fait leur apparition et matricent le débat public : Me too, les gilets jaunes et le combat pour le climat. Ces trois mouvements sociaux expriment une nouvelle époque.

L’initiative a eu lieu en dehors des formations, partis, syndicats, associations, personnalités installées dans la représentation politique.

Leur point de départ est une initiative hors du champ institutionnel, leur mode d’expression et de mobilisations est celui des réseaux sociaux. Leur structuration est transpartisanne. Leurs revendications s’articulent au départ sur un sujet. Et la dynamique de cette protestation revendicative ouvre la voie à une multitude de revendications qui se greffent sur un corps central.

La méfiance vis à vis de toutes représentations est totale. Voilà la deuxième raison qui rend compliquée la refondation d’emblée autour d’une personnalité. Quels que soient son talent ou ses quartiers de noblesse politique.

Ceci confirme la difficulté de refonder, de renouveler la gauche dans le cadre ancien ou les méthodes anciennes. 

Et ne croyons pas que l’électorat sera majoritairement différent.

Il faut une resocialisation par le bas. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle les municipales seront déterminantes.

À l’évidence, même sous le sigle divers gauche, la gauche de terrain fera son unité au premier ou au second tour. Les municipales seront plus favorables aux maires sortants. Et donc aux socialistes en place. La crise ouverte dans LREM avec la sédition de Villani et le fait que celui-ci n'ait pas été sanctionné légitime d'autres crises à Marseille, Lyon, Bordeaux, Montpellier, Lille, Strasbourg, Le Mans etc. Les premiers sondages montrent le parti du président bas .

Cela confirme le retour de l'ancien monde par le bas. C'est essentiel pour le renouveau mais ne sera pas la refondation.

Alors, pour une offre nationale, est-ce que cela prendra du temps ? de la patience, de l’écoute et de l’imagination certainement. Mais cela peut aller très vite, car la fragmentation induit la volatilité. Et donc l’offre nouvelle peut créer une dynamique. Et puis, l’espace politique de la contestation de gauche du macronisme est très grand. Même si ce champ est en jachère et qu’il y pousse un peu de tout. Alors, oui il faut à nouveau être désirable pour être désiré. 

Mais si la gauche ne prend pas la mesure du moment, si elle ne se réinitie pas, alors la nouvelle déroute aux futures présidentielles, voire avant, aux régionales, conduira à une marginalisation durable. De nouveaux clivages identitaires / libéraux viendront se substituer durablement au clivage gauche-droite. Et la gauche d’hier sera réduite à une trace ou une marque dans l’histoire contemporaine.


 

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