Désolé, mais 2023 sera l’année de tous les dangers, l’année des crises conjointes...

La guerre, l’inflation, le dérèglement climatique ; tout arrive en même temps. 

Catastrophisme ? Jugez plutôt !  

      

GUERRE OU PAIX 

Poutine aurait dû lire « Guerre et Paix » de l'écrivain Léon Tolstoï avant de se lancer dans cette « opération spéciale » et, particulièrement, cette phrase sur Napoléon « son armée est semblable à un fauve qui vient de recevoir dans son flanc une blessure hostile ». Et l’armée de Poutine se vide lentement de son sang. Il a sous-estimé la cristallisation d’un sentiment national ukrainien dû à l’agression et a provoqué la guerre par procuration du monde occidentale concentrant toutes ses technologies guerrières contre la barbarie aveugle de la Russie. Vladimir Poutine vient de reconnaître que « c’est difficile dans le Donbass ». Au même moment, le héros militaire ukrainien Valeriy Zaloujny réclame à Zelensky des mesures coercitives contre les désertions. 

Les deux camps sont exténués, même si la contre-offensive ukrainienne a permis de reconquérir des territoires perdus au Donbass. Alors, en retour, les Russes détruisent systématiquement toutes les infrastructures de distribution d’eaux, de gaz et d’électricité de l’Ukraine, jetant le peuple dans le dénuement le plus total en ces temps de rigueur hivernale. Cela provoque ainsi une vague de réfugiés thermiques en direction du maillon faible de l’Europe, la Pologne qui est en proie à des problèmes économiques et démocratiques et où la mise sous le boisseau de la justice rend compliquée la solidarité européenne pourtant nécessaire. 

Ne nous trompons pas. Il ne s’agit pas d’une guerre préventive de la Russie contre l’Occident menaçant. Il s’agit d’une guerre sainte de la Russie pour son Occident chrétien. La rhétorique de la guerre sainte et de civilisation est de plus en plus déployée. 

Le soubassement idéologique n’est pas seulement la lutte contre l’Otan ou contre les promesses non tenues du temps de Gorbatchev. 

Poutine s’imagine à la tête de la troisième Rome. La Russie hérite, après la chute de Constantinople en 1453, de la mission de la protection du monde chrétien. Moscou devient ainsi la troisième Rome. 

Et le moyen ? disent les théoriciens « c’est le pouvoir absolu du souverain avec les patriarches Russes comme gardien de la foi ». Ce délire idéologique a été remis au goût du jour par le nationalisme russe qui irrigue les allées du Kremlin. Il s’agit de lutter contre le monde Occidental avachi qui se laisse remplacer. Les Orthodoxes jouant le rôle de rédempteurs quand le Patriarche Cyrille dit à Poutine le jour de son anniversaire « Dieu vous a placé au pouvoir » ; ou quand il évoque les croisades pour légitimer la guerre en Syrie. Si le rattachement de la Crimée marque « l’établissement d’une continuité en termes de territoires entre l’Empire et la troisième Rome russe » pour les contempteurs de cette thèse, la conquête de Kiev est une nécessité spirituelle pour réunifier les deux peuples comme le préconisait Soljenitsyne (mais pour ce dernier par le vote). Ceci pour dire qu’il y a une surdétermination impérialisto-spirituel chez le patron du Kremlin qui l’empêchera de lâcher facilement. On l’imagine enfiévré et habité par ce combat, allant jusqu'à mobiliser toute la nation russe qui doit faire de lui l’égal d’Alexandre le Grand.

On évoque, en attendant l’offensive russe en février prochain, les offres de paix poutinienne qui visent à préparer le nouveau round. Lavrov les a résumées ainsi : « la paix aux conditions russes ou l’armée règlera le problème ». 

Pour ce faire, Poutine compte sur l’internationalisation du conflit : il tente de démontrer qu’il implique la Biélorussie ; il pousse la Serbie contre le Kosovo ; il espère de la Chine confronté à la contestation et la covid contre Taïwan ; il attend de la Corée de Kim Jong-un la multiplication des provocations vis-à-vis de la Corée du Sud et du Japon ; il laisse Erdogan agir via l’Azerbaïdjan contre l’Arménie, pour le grand Turkménistan ; sans oublier la menace d’une aide nucléaire pour l’Iran, contesté par sa jeunesse, en contrepartie de son soutien via les drones et l’agitation du Hezbollah aux portes d’Israël ; ou les actions des mercenaires Wagner en Afrique et l’instrumentalisation de la question migratoire. Donc un monde sous-tension, voire au bord de l’implosion, avec en arrière fond la fin de sa domination par l’Occident et un anti-américanisme réveillé, avec l’Inde en chef de file des nouveaux non-alignés et l’Arabie saoudite qui traine des pieds, alors que les démocraties occidentales sont entrées en crise économique et populiste. 

Le problème de l’Europe n’est plus seulement de sanctionner la Russie, mais de préparer une réponse coordonnée à cette nouvelle donne. Le théorème de nos amis allemands « la guerre a commencé par la Russie ; elle s’arrêtera quand la Russie l’arrêtera » est devenue la doctrine de l’Europe qui sous-estime la situation. La Russie de Poutine ne s’arrêtera pas tant que les Ukrainiens ne sont pas humiliés. Quant à l’effondrement russe, il n’est pas impossible mais pas le plus probable. Il a d’ailleurs été anticipé par le FSB avec la « disparition » de 15 oligarques, laissant ainsi planer l’idée du chaos post-poutinien. Et Medvedev tout comme le ministre de la Défense se sont vite alignés, de peur de subir le même sort. La Guerre en Ukraine et ses conséquences économiques et géopolitiques devient la question majeure de 2023. 

           

L’INFLATION, LA DÉFLATION AVANT LA DÉFLAGRATION

« Tout augmente sauf les salaires » ce refrain des années 70/80 revient à la mode. C’est que l’inflation est de retour mesdames et messieurs. Le café du matin, le poulet du dimanche, jusqu'aux légumes, patates et autres pâtes, sans oublier la baguette, l’eau, le gaz et l’essence, les prix s’envolent en moyenne de 10% en Europe en 2022 et de 5,7% en France. L’indice des prix à la consommation a fait cette année un bond de 7,1 %. Pour faire face, le Gouvernement d’Emmanuel Macron a mis en place un bouclier tarifaire. Mais l’addition est lourde pour les finances publiques. Pour Emmanuel Macron, cela était nécessaire pour aborder, dans des conditions honorables, les présidentielles. Ceci fut indispensable pour faire face à la Covid-19 puis aux conséquences de la guerre de la Russie en Ukraine. 

Mais voilà que le « quoi qu’il en coûte » coûte, quand même, 250 milliards aux finances publiques. Et la BCE et les partenaires européens, à commencer par les Allemands, commencent à s’en émouvoir. Et même les marchés financiers qui prêtaient à la France les yeux fermés sont dorénavant fébriles. Le taux d’emprunt français a passé la barre des 3 %, une première depuis 10 ans. « L’État est à l’euro près » vient de déclarer Bruno Le Maire. Il faut mettre fin, au plus vite, à cette politique. La parenthèse keynésienne, en tout cas de dépenses sans compter, touche à sa fin, au moment où les Français en ont vraiment besoin. 

Mais nous ne sommes pas dans les années 70/80. Nous ne sortons pas des Trente Glorieuses. La croissance a été financée par un soutien de l’État aux entreprises, au moyen d’exonérations fiscales et de coups de pouce. Cette politique a eu une contrepartie, la remise en cause de l’État social. Mais aussi le blocage des salaires, voire d’un précariat de masse. 

Seul le Gouvernement Jospin a introduit dans ce « cycle » les 35H, les emplois jeunes, l’augmentation des minimas sociaux. François Hollande fut contraint par la facture Sarkozy. Emmanuel Macron a renoué avec la politique libérale, avant d’être « obligé » d’entonner le « quoi qu’il en coûte » de toute l’Europe. Avec le retour de l’inflation, nous entrons dans une tout autre époque, car le tissu social est maintenant déchiré et les protections sociales abîmées.

L’inflation est mondiale. Elle est due à des phénomènes extérieurs et non à une surchauffe économique. La Covid-19 provoque un arrêt mondial de la production. On a voulu croire que la reprise mécanique était une nouvelle croissance. C’était une croissance de rattrapage qui entraîne une demande féroce sur les composants que la Chine ne peut fournir, elle-même confrontée à la pandémie. Elle n’est sortie du zéro Covid que par des émeutes et au prix d’un nouveau cycle infectieux qui menace. La montée des prix fut la rançon de cette dépendance asiatique et la résurgence de la Covid ne va pas arranger les choses. 

L’inflation est déjà là quand la Russie de Poutine décide d’envahir l’Ukraine. Immédiatement, les prix du pétrole et du gaz s’envolent. Dans le même temps, la pénurie du blé et celle des semences se font jour due à la guerre et au blocus russe.  

L’inflation conjoncturelle et l'inflation structurelle se combinent, sans oublier bien sûr, la spéculation propre au système libéral de marché. 

Biden dit « les Américains souffrent de l’inflation Poutine », pendant que madame Lagarde parle « d’une inflation venue de nulle part », et le chancelier allemand évoque « une inflation de court terme ».

De fait, la Banque de France pronostique un retour à la normale dans deux ans. 

Mais c’est sans compter avec ce que le GIEC appelle « une série de chocs » qui lui font dire que « l’horizon est à 30 ans ». 

De toute façon, pour faire face, la BCE et les banques centrales relèvent les taux de prêts. L’économiste en chef de la BCE déclare que « le pic de l’inflation est devant nous ». L’objectif est de réduire l’inflation à 2%. Les banques centrales prennent ainsi le risque de casser le peu de croissance. En fait, les libéraux ne connaissent que la récession pour casser l’inflation. Le problème est que cela jette dans le chômage ou la précarité des milliers de gens.

Le Gouvernement français décide, en signe de bonne volonté aux marchés, de tailler dans la dépense publique, ne serait-ce que celle des collectivités locales. Dans le même temps, il s’attaque aux filets sociaux. Tout en faisant baisser artificiellement le niveau de chômage en radiant 250 0000 chômeurs, la décision est prise de réduire de 40% les couvertures sociales quand le chômage baisse. Mais il s'attaque aussi à la retraite avec le soutien de la droite en augmentant la durée de cotisation à 64 ou 65 ans. Pourtant, la CFDT indique qu’il n’y a pas nécessité "d'équilibrer les comptes" du système de retraites. Et le Gouvernement Hollande a trouvé un point d’équilibre à 42 trimestres, tout en protégeant les carrières longues et en engageant le débat sur la pénibilité. Et pour couronner cette offensive, le Medef exige de baisser les impôts, en particulier la CSG, et de « taper » dans les dépenses publiques où l’on dépense « un pognon de dingue », sans retour à l’emploi. 

Si les mesures des banques centrales peuvent casser le peu de croissance et ouvrir une séquence de déflation, les décisions libérales contre les dépenses publiques conduiront à la déflagration. 

Il suffit de regarder l’Angleterre où « tout se déglingue ». Ceci n’est pas seulement dû au Brexit, même si le souverainisme a fait de gros dégâts. En Grande-Bretagne, tous les services publics sont en grève ou ils manifestent. Mais ce mouvement existe aussi dans toute l’Europe, en Allemagne, en Italie et en Espagne. 

Le propre de l’inflation est de faire basculer les couches moyennes et inférieures dans la précarité. Les mouvements des contrôleurs de la SNCF ont donné le point de départ d’une « giletjaunisation » des couches moyennes. Les boulangers, les maraîchers, les transporteurs, ou comme nous l’avons vu avec les dépôts de carburants, vont rentrer dans la danse anti-inflationniste, face un État qui ne peut dépenser plus conduisant à une croissance anémiée. 

L’inflation va avoir des conséquences incalculables pour des pays qui vont basculer dans l’hyperinflation comme le Liban ou l’Argentine. Mais la France ne peut croire qu’elle restera durablement à un taux de 5%, alors que l’Europe est à 10% et qu’elle sera dépourvue de bouclier tarifaire. 

Nous connaissons ces situations qui peuvent conduire soit au renouveau de la Gauche comme dans les années 70/80 avec des solutions européennes, imaginatives et responsables ; soit au populisme nationaliste, comme déjà en Suède, en Pologne, en Hongrie ou en Italie, avec la xénophobie qui s’y attache.

2023 voit donc de noirs nuages s’accumuler dans le domaine économique et social. Le 10 janvier prochain, le Gouvernement va déclencher une offensive, alors que tous les voyants sont au rouge. La confrontation sociale est devant nous. Personne ne peut savoir où cela nous conduira, alors que le crépuscule du macronisme s’annonce.

 

L’URGENCE CLIMATIQUE SANS LES MOYENS DE LA CONJURER

« Europe au balcon, États-Unis au tison ». Les épisodes climatiques se multiplient sur notre planète : des canicules en été et des tempêtes de glace en hiver.  

Sécheresse, incendies, vagues de grêle, peu ou pas de fourrages pour les bêtes ; les années se suivent et s’aggravent ; les années les plus chaudes au plus grand nombre de jours de canicule. On n’arrête plus les records. On évoque un stress hydrique, pour ne pas parler du manque d’eau sur la planète bleue. En France, l’insuffisance pluviométrique est de 40%. Avec 7,8 mm d’eau, le déficit de précipitations est de 88%. Les incendies sont légion. Cette année, ils se sont déclarés même dans la région la plus humide de France : les monts d’Arrée dans le Finistère. Et les épisodes d’orages extrêmes se multiplient, projetant au sol des grêlons de 7 cm de diamètre.  

Si la prise de conscience du réchauffement climatique est planétaire, la bataille des solutions fait rage.  

Au-delà du « changeons de mode de vie, la croissance est l’ennemi », de l’évidence, la même croissance est quasi-impossibilité de se déployer pour les huit milliards d’individus. Elle dévore les énergies fossiles, pollue la planète et participe du réchauffement climatique. Certes, mais « que faire ? » comme disait l’autre. 

C’est là que les conséquences politiques sont dangereuses.

Une partie de l’opinion, particulièrement la jeunesse, se radicalise contre l’impuissance ou l’impotence des dirigeants qui multiplient les constats sans bouger.  

Cela commence à dégénérer avec des actions exemplaires, comme s’en prendre aux tableaux dans les musées ou s’attaquer aux entreprises polluantes. 

La difficulté de la contestation de masse tient au fait qu’il n’y a pas d’objet à celle-ci, puisque la prise de conscience est totale. Quant à l’arrêt de la croissance, elle est improbable hors covid et on voit ses conséquences.

Cela ne s’arrange pas, alors que l’on apprend qu’il faut 10 000 ans après l’arrêt de l’effet de serre pour revenir à une situation avant l’ère industrielle ; qu’il faut passer de onze tonnes de CO2 par an à deux tonnes par personne. Et pour ce faire, les écologistes nous proposent la fin des maisons individuelles, le regroupement des personnes seules par appartement, voire la limitation des naissances. 

Cette tension entre le constat et les solutions improbables pour un résultat aléatoire ou peu satisfaisant va provoquer une confrontation de plus en plus violente.  

Le mouvement des Gilets jaunes n’est que l’avant-goût de ce que produira la mise en place d’une écologie coercitive. Et, à contrario, en rester là va provoquer l’exaspération de plus en plus violente des tenants de l’urgence.   

2023 sera l’année de la grande confrontation climatique. Elle sera une guerre civile des mots avant celle des affrontements. Elle s'ajoute à la question sociale, identitaire et sanitaire.  

Il sera plus que temps de bâtir une doctrine qui combine urgence et chemin praticable. 

Pour cela, elle doit se départir de l’idée que l’action humaine est l’ennemi. Elle ne peut non plus fixer à l’humanité l’objectif insurmontable de rattraper les dégâts car elle provoque pessimisme et impuissance. Elle doit poser les vrais défis qui sont : ralentir l’effet de serre autant que cela soit possible ; se préparer à vivre sous le dérèglement climatique qui est déjà là ; mobiliser le génie humain pour l’un et pour l’autre, de façon de rendre l’un atteignable et l’autre praticable.  

Dans ces trois défis, il y a la paix, la lutte contre l’inflation et le climat. Comme dans beaucoup d’autres, il y a le chemin de la social-démocratie. Si l’on peut pronostiquer qu’ils vont structurer le Monde et la France en 2023, on n’est pas sûr que ce chemin soit audible. Mais il faudra le tenter car c'est l’année de tous les dangers. 

Mes meilleurs vœux possibles dans cette année impossible.  

A dimanche prochain.