La question est stratégique: comment battre Emmanuel Macron sans faire venir Marine Le Pen?

Il est minuit dans ce début de siècle pour la gauche. Elle est morcelée en multiples chapelles et personnalités dont le seul leitmotiv est ”ça passera par moi parce que je le vaux bien”. Ses perspectives électorales sont limitées par la division. Et donc elle s’est condamnée à voter Emmanuel Macron au deuxième tour de la présidentielle car elle va s’autoéliminer dès le premier tour. Ses propositions sont datées: des concepts des années 80 forgés dans les années 60. 

Seule l’écologie est venue repeindre une offre fleurant bon l’avant-chute du mur de Berlin où la gauche régnait sur les idées et les consciences sans partage. Depuis, la gauche a gouverné. Elle a même plutôt bien gouverné. Elle, dont on disait qu’elle était incapable de le faire. Elle, qui était venue en responsabilité par effraction. Mais elle n’a appliqué aucune de ses propositions forgées dans l’opposition au pouvoir. Ni la rupture évidemment, ni l’autogestion, ni la lutte contre la finance, ni même la formation tout au long de la vie, encore moins le droit de vote des étrangers. Seul le mariage pour tous, la pénibilité, ou encore la Cop 21 sont venus faire sens. 

Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas une nouvelle société!

Dans ce même temps-là, la gauche perdait son hégémonie culturelle. La nouvelle droite a imposé une nouvelle grille de lecture dominante : immigration, insécurité, identité. Les fameux trois « i » auxquels la gauche impose la morale. C’est déjà cela, mais cela ne règle rien. 

Quant au modèle économique, celui forgé dans le milieu des années 1970 avec le consensus de Washington s’attaquant à l’Etat social, il fait des protections sociales une entrave à la concurrence. Il s’est imposé alors que les uns le nient et les autres sont dans le déni. Il provoqua une scission idéologique majeure, d’abord avec Tony Blair et Gerhard Schröder théorisant le nouveau centre. Ce fut l’honneur des socialistes français de s’y opposer. Mais rien n’est venu théoriser ce cours politique. Pourtant, les 35 heures, la sécurisation des parcours professionnels ou le regroupement des régions, même imparfait, offraient un levier d’une autre politique. Mais pas défendus, encore moins théorisés, ils furent jetés avec l’eau du bain. 

Dérive des deux continents de la gauche

Ensuite, et par contrecoup, s’installa le courant altermondialiste. Et les socialistes, à juste raison, n’y ont pas adhéré. Sans pour autant expliquer le pourquoi, l’égratignure dans l’unité de la gauche est devenue gangrène.

La dérive des deux continents allait donc s’accentuer avec l’émergence des sociolibéraux au Parti socialiste et des frondeurs, voire des populistes de gauche. 

Manuel Valls, Premier ministre, théorisa cette opposition en estimant la division insurmontable. Il codifiait ainsi la fin d’un bloc social et électoral et tout espoir d’emporter une prochaine élection. Symétriquement la césure existait à droite: celle compatible avec l’extrême droite et celle qui la refusait. Emmanuel Macron trouva là les moyens de son ambition. 

La combinaison de la nouvelle idéologie identitaire dominante, du caractère indépassable de la mondialisation libérale, l’effondrement de l’Union soviétique et la montée de l’individualisme consommateur a créé un schisme qui a précipité la chute idéologique de la gauche.  

Celle-ci a précédé la déroute électorale: les partis de gouvernement dans la gauche n’ayant plus à proposer que la bonne gouvernance pour tout dessein.

Il faut donc à la gauche un dessein qui corresponde aux Français d’aujourd’hui dans la France d’aujourd’hui; une stratégie pour rassembler et une méthode pour l’exposer. 

Vers une société décente pour l’intégrité humaine

Le dessein, c’est la société décente et le moyen d’obtenir l’intégrité humaine. L’intégrité, c’est ce qui réunifie le social et l’écologie mais aussi le sanitaire et l’éthique et bien sûr la défense de la démocratie contre le stade suprême du libéralisme économique libre marché et le pouvoir autoritaire ou autre gouvernement par les algorithmes. L’intégrité se décline sur tout pour tous. 

Cette nouvelle grille doit se décliner dans tous les domaines. Mais avec des concepts, des solutions, des propositions nouvelles. Parce que nous sommes dans une époque nouvelle : la réponse aux défis nouveaux permet de surmonter les clivages anciens.

C’est ainsi que se créera un nouvel imaginaire propre à générer une nouvelle gauche.

La stratégie est simple: constituer un bloc réellement écologique, fermement démocratique, totalement européen et clairement social; rompre donc avec le modèle anglo-saxon tout en renouvelant le modèle français. Une stratégie de bloc historique plus que d’union d’appareils capable de régler la question stratégique: comment battre Emmanuel Macron sans faire venir Marine Le Pen?

Ce bloc, celui des nouveaux progressistes, est potentiellement majoritaire depuis qu’Emmanuel Macron est devenu la deuxième droite. 

Pour une écologie sociale durable

Mais il faut tout autant desserrer l’étau de la polémique dominante interdisant à la gauche de penser par elle-même, pour elle-même. Et par conséquent, offrir une alternative aux Français capables de régler leurs problèmes dans une perspective historique nouvelle. Il faut une stratégie de déplacement des problématiques dominantes. 

Donnons quelques exemples. Le débat sur l’immigration? II est instrumentalisé et mal posé. Il faut une France de 100 millions de Français dans une Europe d’un milliard d’habitants. Sinon, nous ne serons pas remplacés mais oubliés. Le rayonnement de la France passe par sa langue. Comment le réaliser sans accueillir les élites du monde et surtout du Sud dans nos universités? L’enjeu c’est 700 millions de francophones en 2050.

Un autre exemple? L’identité ce n’est pas une souche, un arbre mort. Mais ce qui est vivant et transmissible. C’est-à-dire le patriotisme républicain. La France n’est pas un ADN, mais des valeurs. Une France réduite à ses Français de souche est une France morte. 

Autre exemple? L’urgence écologique qu’on ne saurait nier. Elle ne doit pas être défensive mais offensive. Elle doit être portée au cœur de la production et non peser sur l’impôt et les consommateurs. Elle doit elle-même être durable. L’émancipation des énergies fossiles ne doit pas nous faire tomber dans une nouvelle dépendance aux matériaux rares (lithium, tantale, cobalt, etc) sources de nouvelles pollutions et d’être dans les mains de la Chine… 

Offre globale nouvelle, angles nouveaux, et nouveau discours pour une nouvelle gauche dont le pays a urgemment besoin. La refondation sera donc doctrinale ou ne sera pas. 

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