Nous devons le dire avec force : les besoins vitaux de l’humanité sont supérieurs aux marchés.

Mettre des limites à l’extension du régime de la marchandise, c’est faire de l’intégrité humaine le cœur du développement humain.

Ce choix éthique, avant celui du tout marché, conjugue responsabilité individuelle et solidarité collective.

L’intégrité humaine dans tous les domaines : le travail, la protection sociale, l’enfance et la fin de vie, la République, la science, le climat où la révolution de l’immatériel est constitutive d’une nouvelle société.

La révolution de l’immatériel et du numérique a accéléré la métamorphose de l’économie de marché ; le progressisme d’hier, fait de révolutions ou de recours à l’État providence, a perdu de ses forces propulsives ; l’intégrité est constitutive de nouvelles lumières, d’un nouveau contrat social, d’une nouvelle social-démocratie qui n’attend pas des dividendes de l’État providence. La rente du progrès défend la préservation de l’intégrité humaine. Il ne s’agit plus seulement de domestiquer l’économie de marché par des réformes, comme l’ont fait nos aînés avec le capitalisme industriel. Il s’agit de fixer un nouveau but à la société : une nouvelle société où l’intégrité est la règle. La société doit devenir décente, sociale et écologique.

L’intégrité humaine est un féminisme. L’égalité homme-femme dans le monde est son nouveau progrès. Le refus de la violence faite aux femmes, qu’elle soit domestique ou dans la rue, le refus du harcèlement sexuel, de la relégation, au nom d’un machisme séculaire, constituent le nouvel équilibre d’une société décente.

Mais tout autant, le refus des discriminations de toutes sortes, sexuelles envers les homosexuels, humaines envers tous les handicapés, racialistes envers les noirs ou les Maghrébins, antisémites envers les juifs, religieuses envers une religion ou envers ceux qui ne veulent pas croire. Tout ce qui fait de l’autre l’ennemi à détruire, à exclure, à anéantir au nom d’une appartenance relève d’une agression contre l’intégrité humaine.

L’intégrité humaine est écologiste par essence. La société est trop consommatrice de ressources trop rares ou périssables. L’avenir du genre humain est en jeu. Le productivisme a fait progresser l’humanité jusqu’au jour où il s’est retourné contre elle. Pour la première fois de son histoire, l’être humain est confronté à sa propre limite.

La neutralité carbone en 2050, la stabilisation de l’effet de serre, la limitation du réchauffement a 1,5 ou 2 % maximum. Voilà le triptyque commun à toute politique faisant de l’intégrité du genre humain son objectif.

Offrir un destin viable à la planète ne fait pas de l’humain l’ennemi de celle-ci. La stigmatisation de celui-ci et de la croissance est un antihumanisme.

Quant à la démocratie, l’écosystème politique du genre humain, les nuages s’accumulent dans son ciel. L’idéal démocratique recule dans les têtes et dans les faits. La crise de l’efficacité politique en est la raison. Et le recul du politique l’est tout autant. L’idéologie de l’efficacité de marché pour satisfaire la consommation immédiate a dissout petit à petit l’intérêt général.

La démocratie de l’après-guerre fut identifiée au libre marché. La liberté d’entreprendre et la liberté individuelle allaient de pair dans un monde frappé d’horreur par la Shoah et mobilisé contre le communisme. Les trente glorieuses donnaient du grain à moudre à cette idéologie. Mais la démocratie dispersive a produit l’individualisme consommateur, creusé les inégalités, les exclusions toutes sortes. Le néolibéralisme a transformé la liberté du marché en idéologie du profit aliénant les consciences, mutilant les citoyens, provoquant la société inégalitaire. Cette démocratie du libre marché est aujourd’hui mise en cause par le besoin de « commun ». Mais aussi par son incapacité à affronter les défis de 6 notre temps. Elle fait place à la montée de l’«illibéralisme» politique. Elle fait place au solutionnisme technologique, comme nouvelle régulation. Les deux se présentent comme plus efficaces qu’une démocratie lourde, lente, incertaine. Les libertés individuelles s’en trouvent altérées, voire mises en cause, comme avec le traçage des individus. Mais la démocratie est tout autant confrontée au vent populiste qui voit dans la démocratie représentative l’obstacle à l’émancipation du peuple. Pendant qu’à un autre pôle, la dépolitisation, la désidéologisation permet d’imposer le clivage ethnique, identitaire, voire racialiste comme une nouvelle grille de lecture.

L’intégrité de l’être humain comme citoyen, c’est-àdire comme souverain de son destin, est un enjeu ; la technocratisation de la démocratie est son corollaire ; la tendance au régime autoritaire et l’ultime refuge du tout marché la menacent. Le populisme politique, lui, s’attaque au nom d’une démocratie radicale à notre tradition de citoyenneté, et partant au concept d’isonomie cher aux démocrates depuis l’Antiquité. Nul ne peut l’ignorer, la démocratie est en danger.

Si la démocratie doit être inclusive, elle doit surtout, pour se refonder, renouer avec l’égalité et avec le respect de l’intégrité.