Le gouvernement a décidé d’attaquer ce pilier de notre modèle social en soumettant les organismes HLM à un triple choc.

Au service du pacte républicain, le modèle français de logement social répond à une mission essentielle: offrir un habitat décent et abordable aux ménages modestes et moyens. C’est grâce à la combinaison de subventions publiques et de prêts consentis par la Caisse des Dépôts que les bailleurs sociaux ont, au fil du temps, financé la construction de 4,6 millions de logements à loyers modérés. Bien commun de la Nation, le parc HLM français loge près de 11 millions de personnes. Si ce bilan peut paraître mitigé dans la mesure où plus de 2 millions de ménages sont en attente d’un logement social, le procès aujourd’hui intenté au mouvement HLM révèle une volonté d’en finir avec un modèle qui n’a pourtant pas failli.

Le gouvernement a, en effet, décidé d’attaquer ce pilier de notre modèle social en entamant un projet de transformation radicale visant à arrimer le logement social au “nouveau monde”. Comment? En soumettant les organismes HLM, taxés de “dodus dormants”, à un triple choc.

Le premier impose aux bailleurs sociaux de participer, depuis 2018, à la réduction des déficits publics, fait inédit dans l’histoire de notre démocratie sociale. L’objectif initial du gouvernement était de réduire les APL perçues par l’ensemble des bailleurs sociaux à hauteur de 1,5 milliard d’euros sans que les locataires du parc social en souffrent, cette baisse étant compensée par une baisse équivalente des loyers, baptisée “Réduction de loyer de solidarité” (RLS). La mobilisation du monde HLM a obligé l’exécutif à limiter, dans un premier temps, les effets de ce tour de passe-passe: ainsi, la RLS a été fixée à 800 millions d’euros en 2018 et 2019, et à 950 millions d’euros de 2020 à 2022. À travers ces ponctions, une partie des projets de construction et de réhabilitation des bailleurs sociaux est compromise. Pour les plus fragiles d’entre eux, la RLS impose une trajectoire budgétaire insoutenable à horizon un ou deux ans.

Deuxième choc: la diminution drastique et continue, depuis une dizaine d’années, des subventions directes de l’État à la construction de logements sociaux. Les aides à la pierre s’élevaient à 450 millions d’euros en 2012; elles sont passées à 39 millions d’euros en 2018, pour disparaître purement et simplement en 2019.

Le troisième choc est organisationnel: la loi “ELAN” du 23 novembre 2018 contraint les opérateurs HLM détenant moins de 12.000 logements à se regrouper, sous couvert de mutualisation et d’économies d’échelle. Entre autres inconvénients, la création de groupes d’organismes de logement social va fragiliser le dialogue de proximité entre les locataires, les élus et les organismes gestionnaires.

Le but inavoué de cette réforme est de financiariser le modèle français de logement social. Aux antipodes du modèle qui prévalait jusqu’alors, le modèle retenu substitue aux subventions directes le recours au marché pour financer la construction de logements sociaux: vente HLM au secteur privé et aux particuliers, souscription d’emprunts auprès des banques commerciales, émission d’obligations, etc.

À rebours de l’évolution suivie depuis plus d’un siècle, la montée en puissance du marché dans le domaine du logement social signifie l’effacement de la solidarité devant la rentabilité. Déjà, les fonds privés se bousculent au portillon des opérateurs HLM. La mainmise de la finance sur le logement social pourrait également annoncer la dérégulation du droit de l’urbanisme, les investisseurs tolérant mal les freins juridiques à la réalisation des projets de construction.

En s’en remettant aux forces du marché pour faire face à une production insuffisante de logements HLM, le gouvernement semble oublier que le logement social a été créé pour pallier les défaillances structurelles du marché: en 1894, la loi Siegfried autorisa la Caisse des Dépôts à accorder des prêts à des organismes privés en vue de la construction d’Habitations à bon marché, ancêtres de nos HLM, parce que ces organismes ne parvenaient pas à se procurer les capitaux nécessaires au financement de leurs programmes. Qui peut croire que le marché du XXIe siècle est plus vertueux que celui du XIXe siècle?

Il y a donc urgence à agir pour que le logement social reste à l’abri de la spéculation et continue à jouer son rôle d’amortisseur social, particulièrement visible en temps de crise. À cette fin, nous proposons, à court terme, trois mesures pour enrayer la marche vers la financiarisation de ce secteur: suppression de la RLS, retour à une TVA de 5,5% pour les opérations d’investissement, et réengagement de l’État en faveur des aides à la pierre.

Au-delà de ces mesures qui redonneront des marges de manœuvre financières aux organismes HLM, l’enjeu est de définir une stratégie territorialisée pour accroître l’efficacité de la politique du logement social. Le drame de notre pays, marqué par la centralisation jacobine, est d’avoir toujours conçu cette politique depuis Paris. Or, le traitement identique de situations très différentes d’un territoire à un autre aboutit à des anomalies. Par exemple, aujourd’hui, si le parc social de la Métropole du Grand Paris fait face à une exceptionnelle pression, certains territoires des régions Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est sont dotés de logements HLM en trop grand nombre.

La territorialisation des besoins pourrait emprunter deux orientations:

Dans les zones en tension, il s’agit, d’une part, de mobiliser le foncier public en renforçant les compétences et les moyens des établissements publics d’aménagement et des établissements publics fonciers, et, d’autre part, d’utiliser intelligemment toute la gamme des instruments qui permettent de produire des logements locatifs sociaux (PLAI, PLUS, PLS) et de l’accession sociale (prêt social location-accession, bail réel solidaire, etc.).

Dans les zones détendues, et notamment dans la “diagonale du vide”, qui s’étend de la Meuse jusqu’aux Landes, le logement social pourrait être un vecteur de revitalisation des villes moyennes sur le déclin. Ainsi, une partie des immeubles vétustes des centres-villes pourrait être acquise, réhabilitée et gérée par des bailleurs sociaux. Cela favoriserait la reconquête des centres-villes, via le repeuplement et le développement des commerces de proximité. Quant aux logements sociaux ne trouvant plus preneur, parce que situés dans des zones où les bassins d’emploi ont disparu, il est indispensable de leur inventer de nouveaux usages en adéquation avec les besoins réels des territoires. Cette réflexion devra être menée dans le cadre d’une concertation approfondie entre les élus, les opérateurs HLM locaux et les services déconcentrés de l’État.

À la marchandisation du logement social, nous opposons donc la décentralisation des responsabilités et la confiance dans les territoires.