Coronavirus : "Le libéralisme sera la victime idéologique de cette crise sanitaire"
Pour Jean-Christophe Cambadélis, ancien Premier secrétaire du PS, les sociétés tireront des leçons antilibérales de la crise sanitaire, au profit des valeurs de gauche.
L'Express : Pour vous, l'un des effets de la pandémie revient à placer le mode de vie des sociétés occidentales face à ses contradictions. Expliquez-nous.
Jean-Christophe Cambadélis : Cette première guerre mondiale au virus va bousculer nos vies. Le confinement et le nombre de nos morts vont provoquer une rupture dans nos modes de vie. Nous allons nous interroger sur la modernité, l'individualisme consommateur, le culte du marché. La crise sanitaire va déboucher sur une crise économique majeure. Les hiérarchies des priorités ne seront plus les mêmes. Regardez comment les plus libéraux d'entre nous en appellent à la dépense publique. Comment ceux qui disaient que les services publics étaient une servitude pour le marché, les glorifient aujourd'hui. Comment Madame Merkel mobilise ses excédents déclarant le soutien sans limites de son économie. Mais, dans le même temps, des pans entiers de l'économie seront impactés. Il n'est pas certain que la dette ainsi accumulée soit finançable. Il est même sûr que les taux vont s'envoler. Enfin la crise politique, un temps mise de côté, trouvera dans cette sortie de crise les ressorts d'un nouveau déploiement. Et je n'évoque pas les décisions unilatérales de l'Allemagne sur les frontières et la solidarité avec l'Italie. La solidarité européenne ne va pas sortir indemne de ce dramatique moment. Tout va être questionné par les peuples.
Vous parlez d'une glorification des services publics. Cette crise sanitaire aura-t-elle, pour vous, des conséquences sur la manière dont les Français appréhendent ces services de l'Etat ?
Oui, l'intérêt général, le bien commun, ce que j'appelle l'intégrité humaine, vont être l'une des conséquences d'un "plus jamais cela !" qui ne manquera pas de surgir. En première ligne, notre système de santé va payer un lourd tribut à la crise sanitaire. On reviendra sur les politiques de santé. On voudra sacraliser la protection collective. Les Français comme tous les peuples chercheront la protection sanitaire et sociale. Et les services publics seront la garantie de la prise en charge de la solidarité nationale. Regardez comment les réseaux sociaux sont pleins de protestation contre l'incivisme de ceux qui ne restent pas chez eux.
Ces différentes conséquences pourraient-elles entraîner une remise en cause du système libéral ?
Le libéralisme sera la victime idéologique de la double crise sanitaire et économique. Le laisser faire, la toute-puissance du marché, la mondialisation libérale, le consensus de Washington fait de dérégulation, privatisation, stricte discipline budgétaire qui régit nos économies depuis le milieu des années 70, seront battus en brèche. Mis à mal par les subprimes, questionné par les peuples, ce néolibéralisme ne saurait être la réponse du nouveau monde qui surgira.
Vous penchez donc pour un retour en force, post-pandémie, des valeurs de la gauche...
Au sortir de la guerre au virus qui peut être longue, les morts, les confinements, les mesures peut-être coercitives, le collapsus économique et ses conséquences verront se faire face deux clés d'explications. Le libéralisme étant pour un temps devenu obsolète, le nationalisme verra dans la crise une autojustification, stigmatisera la libre circulation des hommes et marchandises, en proposera de relativiser la démocratie pour remettre de l'ordre. En face, les valeurs de gauche, la solidarité, les services publics, l'intérêt général, la justice sociale, la bataille pour le climat mettront à l'ordre du jour un autre modèle. Celui d'une société décente où l'intégrité humaine est la valeur centrale de nos sociétés. La gauche sociale et écologique qui est réapparue dans ces municipales est devant ce défi. Saura-t-elle le relever ?
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