ENTRETIEN. Macron, Castex, Sarkozy, les écologistes, Joffrin, le PS… Jean-Christophe Cambadélis lâche ses coups et développe sa stratégie pour 2022.

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C'est la deuxième fois que nous invitons Jean-Christophe Cambadélis à participer à notre grand entretien politique. Lors de sa première participation, vous aviez été très nombreux à le lire. Nous avions été un peu surpris. Comment ? L'ancien patron du PS, l'ancien bras gauche de DSK, capable encore d'intéresser nos lecteurs ? Pour cette deuxième interview, « Camba » n'est plus retiré des affaires. Il s'active à bouter Macron hors du trône en évitant le sacre de Marine Le Pen. Avec son mouvement Nouvelle Société, cet homme de réseau tisse des liens, échafaude des stratégies, et surtout conspire au remplacement du Parti socialiste par une nouvelle marque, une nouvelle union de la gauche, comme Mitterrand à Épinay. Un pari fou ? Impossible ? Cambadélis déroule…

Le Point : Le président Macron a annoncé des mesures contre la « séparation islamique ». Quelle appréciation portez-vous sur ce qu'il annonce ?

Jean-Christophe Cambadélis : Comme souvent, le président Macron gâche, lui-même, ses meilleures intentions. Le discours était de bonne facture. Mais il a été pensé à l'Élysée dans une séquence de communication cherchant à réinstaller le président comme rassembleur. Campagne d'affiches, « Nous réussirons ensemble », sondage confirmant le match Le Pen-Macron, soutien public au discours de Bayrou-Estrosi-Valls, le tout dans une séquence internationale où le président fait la leçon au Liban, à la Turquie, à la Biélorussie, donc à la Russie. Au moment où les Français et les médias n'ont de regard que pour le début de reconfinement dû au Covid. Résultat, le discours n'est plus fondateur, mais un prétexte. Le séparatisme est lu comme stigmatisant, alors que le discours se voulait sur l'unité de la République. Alors, on décide de changer l'intitulé de la loi en exfiltrant le séparatisme au profit de la laïcité. Ce qui donne à cette dernière un rôle qu'elle ne doit pas avoir. Bref, on patouille, et le discours est gâché à force d'avoir voulu courir trop de lièvres à la fois. Le président est coutumier du fait.

Après les attentats de Charlie et au Bataclan, François Hollande était attendu sur la laïcité. Finalement, rien n'est sorti. Pourquoi la gauche n'a-t-elle pas bougé en dépit des postures de Manuel Valls ?

Parce que, pour la gauche, la laïcité se suffit à elle-même. Et l'urgence était aux mesures spécifiquement antiterroristes. Des mesures ont été prises. On a pu même s'inquiéter pour les libertés. Vous évacuez le débat sur la déchéance de nationalité pour les binationaux.

Et je répondis à Valls : « En l’occurrence, là, c’est la gauche qui défend la France. »

Avec Hollande, le débat était libre. Ce qui est rarement le cas sous la Ve République pour les majorités. On le lui a reproché, voyant en cela une faiblesse. Je me souviens d'un débat particulièrement vif lors du petit-déjeuner de la majorité précédant le dépôt de la loi en conseil de ministres où je m'opposais à ce texte. Le Premier ministre, Manuel Valls, jeta ses papiers à travers la table en s'écriant : « Entre la gauche et la France, je choisis la France. » Et je lui répondis : « En l'occurrence, là, c'est la gauche qui défend la France. » Ce qui me valut une convocation le soir même à l'Élysée. Je croyais avoir convaincu le président. Mais il n'en a rien été. Par contre, c'est Nicolas Sarkozy et la droite sénatoriale qui ont refusé ce texte. Alors que c'était leur position sur le sujet… La gauche ne pouvait accepter et la droite ne voulait accepter. Voilà les raisons.

À vos yeux, Emmanuel Macron a-t-il changé sur l'islamisme par rapport au ministre de l'Économie qui s'opposait à Valls sur ce point ?

Hier, il parlait à partir de la gauche, aujourd'hui il parle à partir de la droite [rire]. Hier, Emmanuel Macron, pour construire sa candidature, tentait d'incarner un nouveau progressisme libéral en économie et libéral sur les questions de société. Donc, il s'opposait à Valls et aux frondeurs, ce n'était pas idiot. Puis, avec le soutien de Bayrou, il a entonné le « ni de droite ni de gauche » puis « et de droite et de gauche ». Enfin, arrivant au pouvoir, il tente une OPA sur la droite qui a marché aux européennes. Dans l'esprit de Macron, sa « deuxième droite » doit assécher la droite historique pour la prochaine présidentielle. C'est le rôle de Gérald Darmanin. On assiste donc à la reprise de tous les classiques de la droite et de l'extrême droite : insécurité, identité, immigration et des clins d'œil à Villiers ou Zemmour. Mais, dans le même temps, le président veut être une force centrale. Pour paraphraser Arthur Schnitzler, Emmanuel Macron « ne pêche pas en eau trouble, il trouble l'eau pour pêcher » sa future présidentielle. Pas sûr que la droite se laisse faire. Quant aux Français, ils n'arrivent plus à le suivre.

Comment le PS doit-il se positionner par rapport aux islamo-gauchistes ?

Ce terme n'a aucun sens. J'emploie le terme de « campisme ». Et même de « campisme aveugle ». Au nom de la défense des musulmans, ce qui est pour le moins honorable, des hommes et femmes de gauche refusent de voir qu'il existe un courant sectaire intégriste plaçant la foi au-dessus de la loi.

Il ne s’agit pas du grand remplacement, mais de la libanisation des esprits.

Ils refusent de comprendre le danger, dans le moment de désagrégation républicaine que nous vivons. Il ne s'agit pas du grand remplacement, mais de la libanisation des esprits. Il faut donc en revenir à la République qui place les Français de culture – les plus nombreux – ou de culte musulman sous sa protection. Car ils sont l'objet d'un double séparatisme, entre ceux qui, au nom de la foi, veulent qu'ils rompent avec la République et ceux qui, au nom de l'identité française, exigent qu'ils quittent la République.

Lorsque je forge le concept du séparatisme en 2017, j'ai en tête l'unité de la République et la lutte contre tout ce qui la désagrège, le communautarisme comme l'identité racialiste.

Certains commencent à douter de Jean Castex, qui n'aurait pas assez de poids politique par rapport à certains ministres. Jean Castex est-il le nouveau Jean-Marc Ayrault ?

Jean Castex avec son accent chantant, c'est le sarkozysme à visage humain. Quatre mois plus tard, il ne reste plus que l'accent. La réalité du gouvernement réside dans le duopole Darmanin-Dupond-Moretti. Et Castex est devenu le meilleur agent électoral d'Édouard Philippe. Il fait regretter l'ancien Premier ministre aux Français, ce qui n'était pas tout à fait ce que souhaitait Emmanuel Macron.

Emmanuel Macron rêve de refaire le match contre Marine Le Pen en 2022. Selon vous, cette affiche est-elle plausible une seconde fois ?

Où en seront les Français en 2022 après des mois de crise sanitaire, des reconfinements, des morts, un chômage qui aura bondi, une pauvreté et une précarité qui se seront développées, des déficits vertigineux, etc. Cette situation, produite mécaniquement du Covid, s'impose à tous et d'abord à Emmanuel Macron. Il n'a plus prise sur les événements. On le voit jour après jour. À partir de là, tout est possible.

En 2022, je pense que les Français chercheront une forme d’ordre, autoritaire ou républicain, après les années de désordre.

Marine Le Pen souhaite un deuxième tour face à Macron. Car il est le seul qu'elle peut battre. Tout autre candidat serait susceptible de reconstituer un front républicain. Et Emmanuel Macron pense que, s'il est candidat et au second tour, il a course gagnée. Car les Français, même en traînant les pieds, ne voudront pas de l'extrême droite. Je serais très inquiet d'un tel deuxième tour. Car si Marine Le Pen peut l'emporter, la victoire de Macron ne permettra pas de stabiliser la situation. Et nous le verrions dès les législatives.

Je pense que les Français ne chercheront ni l'aventure ni la continuité, mais une forme d'ordre, autoritaire ou républicain, après les années de désordre. Et Le Pen et Macron, chacun à leur manière, ne l'incarnent pas, malgré les mots d'ordre.

Vous avez lancé avec Nouvelle Société un mouvement qui prépare ouvertement la présidentielle de 2022. Vous dites qu'il y a de la place pour « un renouveau républicain ». Est-ce une façon de dire qu'il faut construire la gauche hors du PS ?

La gauche a toujours relevé les défis historiques du pays. La question républicaine face aux monarchistes, la question sociale en 1936, la décolonisation dans les années 1960, l'alternance dans la Ve République en 1981.

Aujourd'hui, la République est mise en question par les 3 « D » : désagrégation de l'esprit républicain, désintégration sociale, désindustrialisation. La gauche doit forger une république nouvelle qui s'attaque à ces trois questions qui structurent la crise française.

J’entends les divisions. J’observe les tentations. Je vois les fragmentations.

La gauche doit se reconstruire sur ce nouvel axe qui permettra de rétablir l'intérêt général et de régler la question climatique et sociale avec comme viatique l'intégrité humaine. J'entends les divisions. J'observe les tentations. Je vois les fragmentations. Je perçois même les découragements et l'« aquoibonisme » rampant. Mais il est temps d'entreprendre le travail inéluctable du remembrement de la gauche.

Cela commence par changer la marque socialiste comme Mitterrand le fit en son temps avec la SFIO. Puis il faudra une nouvelle maison à la famille socialiste rebaptisée. Cette démarche doit se poursuivre par le renouveau de la pensée et des propositions. Enfin, il sera nécessaire d'en appeler à l'opinion de gauche pour imposer l'union.

Je travaille à cela avec le réseau Nouvelle Société. Je le fais contre personne ni pour personne, mais avec cette conviction : la question républicaine concentre toutes les autres. Et avec une certitude : la gauche est la solution aux maux de la France et au rassemblement du pays.

Que pensez-vous de la boutique de Laurent Joffrin ?

Laurent Joffrin est à gauche un homme de bonne volonté. Il vient de la société civile avec en quelques semaines 5 000 adhérents « non politiques » à son mouvement, Les Engagé.e.s. Il veut faire œuvre utile pour fonder un nouveau cycle à gauche entre les écologistes et les mélenchonistes. Il n'est pas hostile au PS ni à sa direction. Il n'y a vraiment aucune raison de le repousser ou de le réduire à un retour de François Hollande. Il vient de proposer « un rendez-vous des refondateurs » le 17 janvier à Créteil. C'est un moment de la construction des « nouveaux socialistes ». C'est une belle initiative. J'irai avec mes amis.

Le PS de Mitterrand s'était reconstruit en épousant le PC pour mieux l'étouffer. Le socialisme d'aujourd'hui doit-il épouser l'écologie pour mieux l'étouffer ?

Il y a aujourd'hui deux différences de taille avec les années 1970. D'abord, le bipartisme est fini. Il a volé en éclats avec la victoire de Macron libérant les populistes et les fragmentations. Il suffisait hier d'être crédible et en synthèse de son camp pour espérer l'emporter. Aujourd'hui, il faut revoir la stratégie. C'est l'offre politique qui détermine la demande et crée la dynamique susceptible de s'imposer face à Marine Le Pen. Hier, il fallait tout bâtir pour le second tour, alors qu'aujourd'hui tout se joue au premier.

La stratégie n’est plus la synthèse, mais la thèse. Et c’est la dynamique autour de celle-ci qui imposera une union à gauche.

Ensuite, la faiblesse du PCF était dans son refus de l'union et sa subordination à l'Union soviétique. Mais quand il fut battu, il décida de se tourner vers l'union et il le fit dans toute la France. Aujourd'hui, les écolos sont, comme Mélenchon, rétifs à l'union. Certes, les écologistes le sont parce qu'ils veulent se substituer au PS aux régionales, et donc demain dans la vie politique. Mais surtout parce qu'ils sont dans l'impossibilité de faire voter une plateforme et une démarche communes en leur sein. La raison en est leur difficulté d'opter pour une culture de gouvernement, prisonniers qu'ils sont de la décroissance ou de la rupture écologiste.

Dans ces conditions, il ne s'agit plus d'étouffer, mais d'entraîner. La stratégie n'est plus la synthèse, mais la thèse. Et c'est la dynamique autour de celle-ci qui imposera une union.

Le PS n'a pas compris que tout se joue au premier tour. C'était le sens de la belle alliance populaire que je proposais en 2016. Les hiérarques du PS pensent toujours qu'il suffit de s'avancer pour catalyser. C'est le « parce que je le vaux bien ». Ils oublient que le vecteur est un message. Et, en l'occurrence, le vecteur, c'est le PS, et il est démonétisé. Certains pensent obtenir un succès hors du PS. Mais ils sont tout à coup privés de relais et de force, sans pour autant s'être débarrassés de la casaque PS. C'est la double peine ! Voilà pourquoi il faut une nouvelle maison, une nouvelle enseigne et rassembler. Quant à l'offre programmatique, à cette étape, elle est émolliente ou datée. Il y a urgence à la reformuler.

Nicolas Sarkozy peut-il, selon vous, revenir dans le coup et éliminer tous les prétendants à droite ?

Il y pense. Et un peu plus souvent qu'au moment où il se rase ou lace ses chaussures. Il voit la décomposition et il travaille sa stature de recours. Sarkozy, c'est le verrou de la droite. Il pianote sur les personnalités et les contradictions. Il soutient tour à tour les ambitions pour mieux les étouffer. Il veut garder les liens avec les Français à travers ses livres à répétition. Il soutient Macron, sauf sur le régalien.

Aucun candidat de droite ne se risque à faire le bilan du sarkozysme…

Alors, rude tâche pour un candidat de droite. Il devra tourner la page pour s'imposer. Regardez, aucun d'entre eux ne se risque à faire le bilan du sarkozysme. C'est ce que Fillon avait tenté. On connaît la suite…

 

 

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