Un vote Macron ou Pécresse 

De nombreux ami.e.s avec qui j’ai ferraillé contre l’extrême-droite ou l’ultragauche me visitent. Ils plaident, vu l’état de la Gauche, pour un vote “Emmanuel Macron” dès le premier tour. Leur démarche est, en soi, une indication de l’impossibilité de la Gauche d’être l’aimant nécessaire pour “attirer la limaille” pour paraphraser le président Mitterrand.  

D’autres me suggèrent le « vote révolutionnaire », pour qualifier Valérie Pécresse au second tour, seule capable de battre Macron, indiquant, par la même occasion, non seulement leur hostilité au chef de l’État mais aussi la relégation de la Gauche à un rôle de faire-valoir. 

Ils ne manquent pas d’arguments... Le Président serait le dernier social-démocrate ! La candidate des Républicains réintroduit une bipolarité Droite/Gauche, propre à refonder la Gauche ! Macron réélu ou battu, l’après Macron commence et la confrontation avec Édouard Philippe offre des possibilités de refondation. L’obstacle à la refondation de la Gauche est tout autant Jean-Luc Mélenchon qu’Emmanuel Macron et il faut jouer la défaite du second et l’échec du premier.  

La Martingale gagnante serait de prendre la tête de l’aile Gauche de Macron alors qu’il ne peut gagner qu’en incarnant une deuxième droite ou de chevaucher la radicalité tout en faisant de Macron le pire, pour mieux incarner l’opposition de Gauche dans l’après Mélenchon.  

Bref, cessons d’être nous-mêmes, le PS et la gauche sont morts. Cherchons des substituts provisoires à la Gauche actuelle et à sa refondation. 

Ces électeurs stratèges, parfois intéressés, indiquent s’il en était besoin, l'état de la Gauche.

Celle-ci, datée, divisée, radicalisée, laisse la place à un vote utile en fonction de stratégies où la Gauche est secondaire.  

Essayons d’y voir clair ! D’abord, sur le rapport de forces dans le pays, la Gauche se rassure en répétant que le pays n’est pas à droite car il est pour l’augmentation du pouvoir d’achat, les services publics ou le social. Pauvre de vous ! Comme si cette attitude venait contrebalancer l’hégémonie culturelle de la droite et l’extrême-droite sur l’identité, l’insécurité et l’immigration. Comme si Marine Le Pen, Eric Zemmour, Dupont Aignan et Ciotti ne tutoyaient pas les 40 %. Et heureusement, ils sont divisés, car sinon tous les autres seraient balayés !

Ce retournement politique et idéologique vis-à-vis des « années progressistes » est palpable depuis le début des années 2000. Nous sommes entrés dans les années nationalistes, voire nationalistes d’exclusions. Et rien ne dit qu’une confrontation entre Marine Le Pen et Macron ne se conclue par la victoire de ce dernier. Au fond, la candidate du RN a délibérément abdiqué le premier tour pour être l’instrument de tous les rejets au second. Éric Zemmour, quant à lui, joue, voire sur-joue le nationalisme, quitte à perdre le second tour. Mais l’extrême droite est majoritaire dans ses trois tronçons.

Vous voulez le mesurer ? Un bon millier de courageux manifestent avec le soutien de Martine Aubry contre la venue de Zemmour à Lille, alors qu’il en réunit 8000 lors de son meeting et Marine Le Pen 3000 à Reims au même moment. 

Roussel, devenu le chouchou des médias et de la droite, réunit 3000 sympathisants à Marseille, là où Mélenchon en réunissait encore 15 à 20 000 en 2017. Les jauges sont à l’aune de l’état de la Gauche, atones. 

Faut-il dans ces conditions choisir la moins pire des droites pour défaire les plus extrêmes ? 

Je n’arrive pas à comprendre pourquoi il faudrait choisir la deuxième droite d’Emmanuel Macron qui n’a fait aucun geste à Gauche. Pour lui, elle ne compte que pour du beurre. Le Président sortant voulait une politique libérale, un alignement sur le modèle anglo-saxon, et seule la covid - et non les manifestations ou les défaites électorales dans les collectivités locales - l’a contraint au « quoiqu’il en coûte ».  Pour ne pas perdre l’électorat de droite, il soutient Darmanin qui trouve que Marine Le Pen est molle et nous promet de continuer sur l’allocation chômage - une tuerie selon la CFDT - et la retraite, sans oublier les ponctions sur les finances des offices HLM ou l’augmentation des droits d’inscription à l’Université…

Peut-on dire que Macron est social-démocrate ? La social-démocratie, c’est tout le moins le respect des corps intermédiaires, une politique contractuelle, une redistribution, une préoccupation pour le social, et l’écologie. Où avez-vous vu cela chez Macron ? Macron gouverne pour le marché. Cela peut se défendre mais qu’est-ce que la Gauche a à voir là-dedans, même en deuxième rideau ?

Les macronistes nous disent « nous sommes la réforme ». Certes, je ne suis pas de ceux qui disent : il a tout faux ! Mais pour qui et dans quel but sont ces réformes ? Tout ce qui bouge n’est pas réformiste, pas plus que rouge d’ailleurs. On peut détester Mélenchon, le wokisme, la Gauche extrême sans pour autant transformer Macron en social-démocrate.

Et parallèlement, on peut s’offusquer du macronisme, sans pour autant faire de Madame Pécresse le glaive de la Gauche. 

Celle-ci, encore sous l’impact du succès de Ciotti, préférant Zemmour à Macron (Chirac doit se retourner dans sa tombe) court après la droite extrémiste. Ce qui fait sa faiblesse d’ailleurs car en ce domaine, il y a déjà Zemmour. Son succès, comme celui de Marine Le Pen au second tour face à Emmanuel Macron, aurait des conséquences pour le pays en termes de cohésion nationale. 

Si la présidente de la région Ile-de-France était au second tour, elle pourrait l’emporter avec une chambre bleu-horizon aiguillonnée par l’extrême-droite et ses frondeurs au sein de LR. Elle pourrait, tout autant, gagner les législatives, en cas d’échec au 2ème tour de la présidentielle. Où est l’intérêt de la Gauche là-dedans ? 

Je comprends que, constatant le pronostic vital de la Gauche engagée, le réflexe soit d’aller sur d’autres rivages… Mais cela n’aide pas la Gauche… Et le pays va en avoir besoin. Il ne s’agit pas d’être fidèle à une histoire qui nous désole… Encore que... Il s’agit de réfléchir à partir de principes.

L’élection présidentielle, ce n’est pas de choisir le gagnant. On n’est pas dans les paris en ligne, mais de faire un choix au premier tour et d’éliminer au second celui ou celle qui nous semble le plus contradictoire aux intérêts du pays. 

On peut faire le choix de Macron parce qu’on pense qu’il a raison de changer notre modèle social, qu’il faut le faire en se passant des corps intermédiaires… Mais on ne peut pas le faire au nom de la Gauche. 

Quant au vote Pécresse, il me semble encore moins dicible.

Non, il faut garder la vieille maison avec l’idée de la transformer radicalement. En sachant que soit celle-ci accepte de le faire, soit il faudra fonder un parti social-démocrate.

Et plus la Gauche - en particulier la Gauche socialiste - sera haute, mieux cela vaudra pour la France, vue « la crise nationaliste » qu’elle traverse. Il faut un bouclier social et Républicain face aux moments que nous traversons. Soyons conscient que la France va entrer dans des zones de hautes turbulences. La remontée des taux annoncée, la fin du « quoi qu’il en coûte » au moment où l’inflation repart avec son cortège de demandes d’augmentations salariales. Entre ceux qui demanderont le tour de vis et ceux qui exigeront la résistance, il faut une Gauche responsable, éclairée et éclairante ; et si on est chez les autres, on ne sera pas capable d’incarner ce chemin. Et plus la gauche sera haute, plus il sera facile de fonder une formation sociale-démocrate et d'inventer un nouveau cours.

Il n’est pas trop tard pour que ceci s’impose dans la présidentielle. Ce sont les événements qui le diront. Mais quand même, ce n’est pas en votant pour les candidats de l’autre rive que nous le réaliserons !