751 jours de Guerre en Europe

1 / Macron et les ides de Mars ; 2 / Le président la fleur au fusil ; 3 / L'équation politique du moment ; 4 / L'homme à l'égal des dieux ; 5 / La préférence nationale de l'extrême droite contre la République ; 6 / L'austérité renforcée ; 7 / Nouvelle Gauche ou vieilles NUPES 

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1 / Macron et les ides de Mars 

Le 15 mars 44 avant JC., Jules César est assassiné. Sûr de lui et dominateur, il n'a pas voulu écouter les mises en garde. En ce mois de mars, on peut appliquer à Macron - non, son assassinat, n'exagérons rien - encore que chez E. Philippe, F. Bayrou et beaucoup d'autres, le désir de tourner la page soit palpable - mais le vertige du pouvoir, enfermé dans l'hubris.

Les "ides de Mars" furent fatales au conquérant de la Gaule, le seront-elles pour le locataire de l'Élysée ? E. Macron admire sa suprême intelligence et multiplie les coups tactiques : guerre en Ukraine, IVG, fin de vie, certain de maîtriser, d'ordonner le temps politique. Il refuse de voir le pays dans les yeux, entre précarité de masse, amertume et nationalisme d'exclusion. Il adore son nouveau rôle de chef de guerre à sa fière devise "l'intendance suivra". Il gouverne selon son bon plaisir et veut que cela dure. Il caresse même l'idée de revenir après le purgatoire obligatoire de 5 ans que lui impose la Constitution. Pourtant, les indices d'une puissante vague de rejets sont là. Ce long désamour profond finit par entacher sa majorité jusqu'à son Premier ministre, qui a déjà brûlé son état de grâce. Des sondages entre 17 et 18 % alors que le RN caracole à 31 % et le total de l'extrême droite tangente les 40 % pour les élections européennes. Des marges de manœuvre réduites sur le plan budgétaire : le plan d'austérité de 50 milliards combiné à l'inflation et au précariat de masse vont accentuer la distance entre le peuple et le pouvoir ; la récession allemande, son refus de marcher au même pas cadencé que la France sur l'Ukraine ; l'extrême droite en Europe qui monte, fragilisant le projet.

Nous sommes en 2023 et l'horloge interne d'E. Macron s'est arrêtée en 2017. Il était l'homme du nouveau monde. Il incarne en 2024 l'ancien peu attentif à la nouvelle donne. Gilles Finchelstein, directeur de la Fondation Jean Jaurès, fait dans Le Monde cette constatation : sur 100 électeurs de Renaissance, les 2 tiers ont plus de 60 ans. C'est une étonnante rétractation, constate-t-il. Et l'assassinat, me direz-vous ? C'est le peuple qui sera son Brutus. Le score des élections européennes le fera tomber au pied de la statue de Pompée s'il stagne à 20 %, pire s'il fait moins et l'extrême droite plus de 30 %. En apparence, tout restera en état mais Macron, qui s'était engagé à réduire l'extrême droite au sortir de son passage à l'Élysée, l'aura installée. C'est la mort symbolique. Rien n'est encore fait mais les couteaux s'aiguisent.

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 2 / Le président la fleur au fusil

Si le président n'a pas tort de juger la situation dangereuse avec la Russie, il faut s'y préparer sans se payer de mots. S'il est évident qu'il cherche à instrumentaliser cette question pour des raisons électorales, si les mots du président ont été fraîchement reçus en Europe, on peut être fasciné par la façon dont la presse s'engage dans cette histoire sans aucun recul critique.

Non, ce n'est pas par ses déclarations que Macron a fait mesurer le danger. Les Suédois, les Danois, les Polonais, les pays Baltes, le ministre allemand de la défense se sont prononcés bien avant. À tel point que le premier ministre Slovaque pro-Russe R. Fico s'était élevé contre le fait "que des pays européens membres de l'OTAN envisageaient d'envoyer des troupes en Ukraine". Et c'est la réponse de Macron à une question de journalistes à cette sortie qui a provoqué la petite phrase qui a fait couler beaucoup d'encre. Nous avions jusqu'à présent laissé les Ukrainiens se battre pour nous. Et nous avons perdu du temps. Aujourd'hui, nous ne sommes pas prêts en matière de soldats, de munitions, de drones, d'avions, de chars. La France se surestime, faisant de l'arme nucléaire sa nouvelle ligne Maginot.

Non, nous ne sommes pas en économie de guerre. Nous sommes en déficit budgétaire, avec peu de marge de manœuvre. Non, cela ne se fait pas en un claquement de doigt, il faut du temps pour ce basculement. Non, nous ne pouvons pas le faire seul. Il faudra le faire avec les Européens et dans le cadre de l'OTAN. Et c'est au passage l'occasion du pilier européen de l'OTAN de la défense européenne. Alors, de grâce, ne faisons pas la leçon aux Européens au moment du "tous ensemble".

La visite du président Macron au Chancelier Olaf Scholz pour reconstruire une unité de façade était urgente. Mais non, notre stratégie n'est pas claire. Et le "flou stratégique" se retournera contre nous. Que faisons-nous si le front cède en Ukraine ? Que faisons-nous pour qu'il ne cède pas ? Nous sommes pour la défaite de la Russie. Parfait ! Alors, donnons-nous à l'Ukraine les moyens pour frapper la Russie ? Quel est le but que nous nous assignons, que nous assignons à l'Europe et à l'Ukraine ? Reconquérir le Donbass ? La Crimée ? La déroute de la Russie ?

Estimons-nous qu'une frappe nucléaire tactique, si l'Ukraine enfonçait le front russe, vaudrait riposte de notre part ? Attention ! Attention ! à cette guerre en chantant qui enchante les gazettes. Il faut se donner les moyens de nos menaces pour qu'elles soient crédibles. Et cela ne se traite pas la fleur au fusil.

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3 / L'équation politique du moment 

Plus l'extrême droite nationaliste monte, plus la droite se droitise, plus la gauche se radicalise. Voilà la malheureuse équation politique du moment.

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 4 / L'homme à l'égal des dieux

Mettons de côté le « timing » de l'annonce du débat sur la fin de vie. Le président aura poussé à l'extrême l'art ou le cynisme, c'est selon, de se faire caméléon sur une couverture écossaise. Après avoir tutoyé l'extrême droite sur l'immigration et la droite sur la composition du gouvernement, le président tente des signes de gauche pour affronter les élections européennes. C'est le sens de ses annonces sur la fin de vie. N'imaginez pas un texte radical et clair. Nous en restons dans le « en même temps » où l'annonce a plus d'importance que le texte. On déclare 'assister' la fin d'une vie, mais point comme en Belgique ou en Hollande avec un médecin conseillé par un spécialiste de la pathologie du patient qui aide à la suggestion. Mais dans le texte soutenu par Macron, c'est un collège de médecins qui rendra son verdict. On aide, mais on n'aide pas en fait. C'est l'horreur absolue.

On demande à un collège de médecins l'autorisation pour franchir le Styx. Enfer et damnation de la technocratie, et tenez-vous bien, s'il y avait un désaccord, il faudra une deuxième lecture, comme un texte à l'Assemblée nationale s'il vous plaît. Et si cela ne suffisait pas pour monter dans la barque de Charon, on pourra 'acter en justice'. Derrière ces entrechats tacticiens pour engranger le gain de l'annonce sans trop déplaire à ceux qui sont hostiles, il y a un débat éthique. Peut-on, après avoir obtenu de donner la vie quand on veut, se donner la mort quand on peut ? C'est vertigineux pour l'humanité, mais l'est-ce pour l'individu ? En un mot, le libre arbitre de l'être humain est-il légitime face à la nature, c'est-à-dire sa fin biologique ? Nous avions déjà eu ce débat lors de la loi Claeys-Leonetti avec 'l'obstination déraisonnable'. La mort, sa mort, est-elle affaire de société ou de libre arbitre pour maîtriser notre propre fin ? Car avec le progrès de la science de la médecine, le problème s'est déplacé. Nous avons moins peur d'un impératif biologique que d'une longue et lente déchéance. La volonté de mourir 'en sujet', refuse l'image ou la réalité de l'ultime dégradation. Déjà dans Le Guépard de Visconti, film qui ne parlait que de la nostalgie d'hier, le prince Salinas philosophait devant un tableau fixant l'instant du basculement dans la mort. Ce qui le rend sombre, c'est la peinture de l'ultime désordre des draps souillés, image d'une époque qui s'en va. Nous sommes dans les années 60. Aujourd'hui, la mutation est totale. La bonne mort n'est plus de mourir entouré par les siens mais de mourir dignement, c'est-à-dire de ne pas avoir une enveloppe corporelle et intellectuelle à ce point détériorée qu'elle abîme la dernière image que nous allons laisser. Et surtout le refus de souffrir pour mourir, alors que nous pouvons nous en dispenser. Si le corps est le tombeau de l'âme, disait Platon, et l'âme se dissout comme le vent, comme le défendait Socrate, à quoi bon s'acharner à l'enfermer dans un corps délabré et en souffrance ? C'est l'ultime pied de nez de l'individualisme contemporain et consommateur à la société normée d'hier.

Les religions et le serment d'Hippocrate n'y peuvent rien. L'individu règne en maître. 'L'individu c'est ce qui résiste au pouvoir', selon Foucault, et la mort est le pouvoir absolu. Ni le caractère sacré de la vie, l'équilibre entre le présent et l'au-delà, les deux procédant de l'œuvre de Dieu ou le 'primum non nocere' (premièrement ne pas nuire) du médecin, ne peuvent quelque chose face à l'individualisme contemporain drapé dans le progrès de la science. L'IVG est constitutionnalisée. On fait des enfants quand on veut. Des couples d'hommes ou de femmes peuvent les élever, si ce n'est procréer par mère porteuse. On peut maintenant quasiment tout changer dans un corps à sa guise, et le clonage se profile. Le nombre de centenaires s'accroît chaque année. Tout le monde est devenu immortel pour les enfants, petits-enfants à coup de selfies, vidéos et autres messages sur une toile indélébile. Et la société croit pouvoir régenter la mort. Le combat est perdu d'avance devant la liberté de décider. Épicure résonne étonnamment à nos oreilles : 'la mort n'est rien par rapport à nous. Car ce qui est disparu ne sent pas, et ce qui ne sent pas n'est rien par rapport à nous'. Ce 'nous' est l'égal des dieux, il décide de la fin. Car ce qui compte, c'est l'intégrité humaine, dit l'homme moderne qui refuse de souffrir. Il refuse tout autant les mouroirs et souhaite des soins palliatifs. Peut-on le blâmer ?

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 5 / La préférence nationale de l'extrême droite contre la République 

Pascal Perrineau a raison : le RN est l'extrême droite la plus puissante d'Europe par son histoire, sa culture, son implantation et sa représentation parlementaire et sondagière. L’Obs révèle un sondage confidentiel de LR qui donne la majorité absolue aux députés lepénistes en cas de dissolution, une chambre brune sans horizon. Défaire le RN en France, c'est porter un coup décisif à la vague nationaliste en Europe. Mais pour cela, il faut d'abord comprendre sa nature.

Entre ceux qui voient dans le RN la résurgence du fascisme ou évoquent le post-fascisme et ceux qui estiment que c'est un parti comme les autres, on ne sait comment saisir le sujet. On se réfugie dans une morale inopérante. L'anti-lepénisme contemporain semble être un couteau sans lame. Alors reprenons. L'extrême droite reste l'extrême droite, comme vient de le confirmer le Conseil d'État. Ce n'est pas un gaullisme casqué, comme le soutient Onfray. Marine Le Pen avait déjà perdu son procès à mon encontre à propos de la caractérisation d'extrême droite. C'est un parti qui fait de la préférence nationale la clé de voûte de sa vision et de son action. Le nationalisme de l'extrême droite est donc d'exclusion, c'est-à-dire contre ceux qui 'dissolvent la nation', ce qui sous-entend un corps social pur et la hantise du métissage. La xénophobie qui en découle ne peut s'imposer en France sans avoir recours à un illibéralisme contradictoire à notre tradition républicaine. Personne ne met en cause le caractère distinctif du RN à propos de la préférence nationale, au nom du fait que l'immigration maghrébine n'est pas 'fongible dans la nation', comme l'a théorisée l'horloger JY Le Gallou dès la fondation du Front National après que le négationniste François Duprat ait suggéré à Jean-Marie Le Pen de faire de l'immigration la clé de voûte de la nouvelle extrême droite. Et maintenant, les plus radicaux y ont ajouté le grand remplacement. C'est le principal marqueur du RN : 'la France aux Français', 'les Français d'abord', 'On est chez nous'. C'est ce qui ressort de son projet de loi no 188 défendu à l'Assemblée nationale lors de la législature 1986-1988 ; ou les propos récents lors du débat sur la loi immigration pour le droit du sang remplaçant le droit du sol. Cette idéologie va à l'encontre de notre loi fondamentale, comme le prouve la décision du Conseil constitutionnel le 22 janvier 1990 contre une loi instaurant une préférence nationale. Le Conseil réaffirma l'égalité des étrangers en matière de protection sociale. Ce fut le cas lors de l'examen de la loi immigration sanctionnant les mesures inspirées de cette 'philosophie'. Il faudra donc pour appliquer ce programme de 'rupture d'égalité' que M. Le Pen change la Constitution par un référendum - elle le réclame déjà avec le soutien de E. Ciotti - et se donne les moyens coercitifs de faire appliquer cette rupture constitutionnelle dans le pays. Nous n'évoquons pas les troubles qui en suivraient, ou la libération de la parole, voire les surenchères décomplexées dues à la désinhibition qui surgiraient, ou bien sûr les résistances de masses que cela produirait. Du strict point de vue politique, le RN est un parti d'extrême droite national-populiste qui respecte la démocratie électorale - comme la plupart des illibéraux, Poutine par exemple - mais pas les principes républicains. Car la préférence, ce n'est pas l'égalité. C'est précisément l'inverse. La banalisation n'est que la banalité du mal. L'extrême droite reste l'extrême droite, et c'est un danger pour la République et la France. Et pour combattre, il faut : 1. bien caractériser le danger, 2. bien comprendre à quoi il répond, 3. bien répondre en matière de projet et de propositions, 4. et bien agir en reconstruisant un front républicain.

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6 / L'austérité renforcée

Nous vous disions la semaine dernière que l'austérité serait de 22 milliards. La Cour des Comptes vient d'en ajouter 28. 50 milliards ce sera 'le budget le plus redoutable depuis la crise financière', a déclaré le président de la Cour des Comptes, Pierre Moscovici, fustigeant une année blanche dans la réduction des déficits. Et en plus, les magistrats de la Cour sont sceptiques sur la croissance et les rentrées fiscales. Les faillites des entreprises ont atteint ce mois-ci un seuil historique. L'effondrement du marché du logement dont je parlais au printemps explose avec 13 300 emplois supprimés, une chute de la construction de 24 % en 12 mois. C'est sans précédent. Bref ! Nous allons être confrontés à une cure d'austérité renforcée. Le vote budgétaire de l'automne va être d'une rudesse extrême. Les effets dureront jusqu'à la fin du quinquennat et encadreront les municipales et la présidentielle si la situation sociale ne dérape pas d'ici là.

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 7 / Nouvelle Gauche ou Vieilles NUPES 

Bernard Cazeneuve a raison en mettant en cause le refus de O. Faure de réunir toute la famille réformiste autour de R. Glucksman. Cette union aurait nourri la dynamique du candidat allié au PS. Il n'est pas impossible de penser qu'il pourrait se rapprocher du score de la liste Renaissance et de bâtir une nouvelle gauche. Lors du dernier conseil national du PS, étrangement déserté, il s'agissait pourtant de valider la liste. Plusieurs fauristes ont fait face à cette alliance portée par H. Geoffroy, N. Mayer Rossignol ou Philippe Doucet. Que ce soit Chloé Ridel critiquant la nature des radicaux de gauche qu'elle a pourtant fréquentés. Pierre Jouvet qui n'est jamais à un paradoxe près, 'l'apport des électeurs de Macron est moins important que ceux de Mélenchon dans le sondage intéressant de R. Glucksmann', et de conclure qu'il ne faut donc pas faire de signe en direction de la macronie. Et enfin, Christophe Clergeau toujours aussi péremptoire déclara en substance : 'le parti radical de gauche n'est pas pour l'union de la gauche qui est la stratégie du PS, point barre.' Pourtant, nul ne sait si Place Publique partage la ligne des fauristes en ce domaine, qui n'est à cette étape partagée par personne à gauche. D'ailleurs, O. Faure s'est bien gardé d'aborder ce sujet important en conclusion. Important ? Oui, tout simplement parce qu'il sera le débat à gauche pour les 3 ans à venir. Les fauristes ne veulent pas entendre parler d'une nouvelle gauche pour un front populaire républicain. Ils veulent refonder la vieille 'Nupes' sans Mélenchon et sans les sociaux-démocrates. Il s'agit pour eux de couper les deux bords de l'omelette. Il s'agit surtout, après avoir fermé la porte à C. Delga et marginalisé B. Cazeneuve ou S. Le Foll, de mettre hors-jeu F. Hollande. Car ce dernier caracole en tête de la gauche dans les sondages. Il s'agit de se parer de l'union sans dire au bénéfice de qui. Cette stratégie de l'effacement au moment où l'incarnation par la candidature de Glucksman marche est une énigme. À moins, bien sûr, qu'il s'agisse d'un leurre pour la candidature de O. Faure à la présidentielle. Est-ce que ce 'je' est à la hauteur du rendez-vous que nous tend l’histoire ?

A Dimanche prochain 

Le communiqué du LAB 

Ma tribune : Nous sommes condamnés à nous entendre !

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Au moment où la Nupes s'est décomposée, un nouvel axe de recomposition se constitue : le Programme Fondamental. 

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LE POUVOIR D’AGIR

Le Lab de la social-démocratie vient d’élaborer un « programme fondamental » intitulé Le Pouvoir d’Agir, qui vise à rénover les idées de la gauche réformiste en France. LeJournal.info a décidé de publier les principales réflexions issues de ce travail collectif. Pour y avoir accès cliquez ci-dessous sur les quatre liens :