« Il faut admettre qu’aujourd'hui le conformisme est à gauche. Certes, la droite n’est pas brillante mais la Gauche est en pleine décadence, prisonnière des mots, prisonnière de son vocabulaire (...), sans cesse désemparée face à la vérité » Albert Camus

La NUPES est morte ! Vive la nouvelle alliance. 

Pourquoi ? 

1) « D’abord les raisons viennent de loin ». 

La Nupes est une construction électoraliste aléatoire, mort-née, ayant échoué à gagner les élections législatives de 2022.  

Mais les raisons viennent de plus loin. 

La gauche française ne s'est jamais vraiment remise de 2002. Elle doit ses succès de l’après 2002 aux remords de l’abstentionnisme de gauche de ce 21 avril et au rejet de la division qui a conduit à ce désastre. Mais dès 2002 le cycle d’Épinay, ouvert par Mitterrand, est terminé. Le reste est du sursis.

La Gauche se tire une balle dans le pied stratégique en inversant en 2001 le calendrier entre présidentielle et législatives. Elle oblige chaque famille de gauche à exister à la présidentielle et impose ainsi une division structurelle. 

Enfin, elle est en panne d’objet, n’ayant pas reconstruit un programme fondamental capable de fixer un cap, de produire une union crédible, une espérance propulsive pour rassembler le pays.

La gauche française est donc frappée du risque « d’insignifiance », comme disent les éditorialistes espagnols à son sujet, c’est-à-dire sans capacité de peser électoralement, politiquement, idéologiquement, voire moralement, sur les événements. 

Faute de s’être redéfinie, elle se réfugie dans une « gauche d’interpellation ». Faute de s’être réellement unie, elle voit son salut dans le lâche soulagement d’une union de subordination à Mélenchon. 

Pourtant, les raisons d’être de gauche ne cessent de croître. 

Pourtant, l’énergie, le dévouement, l’envie sont toujours présents dans le peuple de gauche. Ils se retrouvent souvent dans le mouvement associatif et parfois syndical.

Mélenchon ? Il est la meilleure et la pire des choses pour la gauche. 

La meilleure, car son populisme chatoyant est le cache-misère de la gauche. 

Le pire, car il l’enferme dans l’interpellation tonitruante, tournant le dos à la définition d’une « gauche de transformation ». 

La gauche ne reviendra que lorsqu’elle aura répondu aux 3 « S » : la sécurité sociale principalement contre le précariat ; la sécurité républicaine via une République impartiale ; la sécurité écologique, une affaire de tous pour tous. 

Ce sont les 3 piliers d’une société décente. Oui il n’y a pas de gauche qui vaille sans une vision de la société. 

Mais en attendant, comment en sommes-nous arrivés là ?

2) « Ensuite, la gauche fut frappée du stress post-présidentiel ».

Olivier Faure s’explique dans le Figaro : « Mélenchon est en situation de rassembler la gauche (...). Si nous en sommes là, ce n'est pas sans lien avec le résultat de la Présidentielle ». 

Voilà tout est dit ! Et Anne Hidalgo appréciera. 

Reprenons : la Gauche réformiste, responsable, dite de Gouvernement, s’est effondrée lors de la Présidentielle de 2017. Elle est portée, à ce moment, par une alliance PS - Écolo qui veut rompre avec la gauche de Gouvernement. Elle scie donc la branche sur laquelle elle est assise. Elle va jusqu'à parler non d’inventaire du quinquennat Hollande mais de trahison. Elle est applaudie par la gauche radicale et décrétée qu’elle est ainsi de retour dans la gauche. 

Le départ des pro-macronistes, au nom de la seule efficacité électorale et du rejet des frondeurs, entraîne la fuite de la gauche du PS au nom du rejet du social-libéralisme et de sa gauche de gouvernement. 

C’est la désagrégation, la dislocation, le démembrement. 

Après Valls, Le Drian, Dussopt, Castaner, Ferrand, Brigitte Bourguignon et des centaines d’autres dont certains deviennent députés macronistes, Jean-Pierre Chevènement rejoint Macron et François Rebsamen avec une trentaine de maires en fait autant. 

Cela fait beaucoup !

A l’autre bout, les uns (Hamon) se fondent dans la gauche écologiste ou abandonnent ; les autres (Marie-Noël Lienmann, Emmanuel Maurel) vont chez Mélenchon puis s’en détachent pour créer une Fédération Républicaine au moment où ce dernier triomphe ; Baumel et Guedj rejoignent la majorité du PS et l’entraînent vers la gauche de la gauche comme rédemption des années Hollande ; les derniers (Christian Paul) vont conseiller Taubira et la primaire populaire mais sans succès.

Le total est déjà vertigineux. Mais les plus nombreux rejoignent leur canapé et se désespèrent en silence. 

Le PS passe de 80 000 cotisants à 20 000 et de 55 000 votants à 10 000 à peine. 

C’est sans appel !

Le PS n’a plus de colonne vertébrale ni de force vitale. C’est le retour à la SFIO. Une implantation incomparable dans les collectivités locales combinée à un opportunisme électoral : un corps sans muscles et sans tête qui cherche des béquilles pour avancer.

Il suffit de suivre les zigzags du Parti socialiste en 5 ans. 

Entre bienveillance de certains avec Macron en 2017 lors des législatives, puis dans le « ni Mélenchon ni Macron », ensuite refondateurs lors du congrès du PS à Aubervilliers, et derrière Glucksman et le groupuscule Place publique aux Européennes, chantant l’union aux municipales derrière les écologistes, prêt à s’effacer derrière l’écologiste Jadot lors la préparation de la Présidentielle, mais au « cœur » de la gauche aux régionales et totalement Anne Hidalgo pour la Présidentielle et retrouvent, à cet instant, l’hégémonisme socialiste violemment anti-Mélenchon. Ce PS cajole Montebourg qui s’est égaré, espère Taubira qui s’est annoncée, pour, enfin, se ranger sans autre forme de procès derrière Jean-Luc Mélenchon.  

C’est donc un PS sans « carte et territoire » politique. Il oscille au gré du vent. Une feuille qui virevolte mais se déclare arbre de l’union.

Le résultat de la Présidentielle provoque donc une panique existentielle : « tout, plutôt que s’identifier ». Ce sera la Nupes. 

Dans le même temps, les écologistes (eux-mêmes frappés par la débâcle de 2017 ; faute de résultats dans les sondages, ils se rallient à Hamon et sombrent avec lui), sont pris dans des forces centripètes. D’un côté, une moisson « institutionnelle » grâce à l’union avec le PS aux municipales et la prise de grandes mairies sur la droite et aux Macronistes (Lyon, Bordeaux, Strasbourg...) etc. 

De l’autre, une extrême gauchisation de l’écologie, sous l’impact de l’urgence écologique. Son point d’orgue est le score de 49 % de Sandrine Rousseau lors de la primaire écologiste.

Cette schizophrénie stratégique entrave d’emblée la ligne centre-gauche de Jadot. Elle le contraint, à chaque instant, à faire des concessions à la décroissance, à la déconstruction ou à l’écoféminisme, au wokisme de Rousseau. Elle finit par être exclue de la direction de campagne après que Matthieu Orphelin, chantre de « l’écologie réaliste », a été poussé vers la sortie pour sa proximité avec Nicolas Hulot, emporté par un scandale sexuel.  

Le score de Jadot, bien loin des européennes ou même des régionales, tétanise les écolos qui foncent tête baissée dans le piège mélenchoniste.

On ne les reverra plus. La figure dominante et médiatique de l’écologie politique devient Sandrine Rousseau.

Enfin, le Parti communiste ou la Gauche communiste identitaire prend le pouvoir suite à 2017. Fabien Roussel, digne successeur de la ligne Bocquet - son mentor - contre Robert Hue, bat Pierre Laurent, le secrétaire national sortant. Ce dernier incarne aux yeux des militants, tout à la fois, une orientation trop unitaire vis-à-vis du PS à l’Assemblée nationale mais surtout une subordination à Mélenchon pour lequel l’ancienne patronne du PC, Marie-George Buffet, milite. Ségolène Royal en fera de même. On ne l’attendait pas là.

Après de nombreuses déconvenues électorales : Européennes, Municipales, Cantonales, c’est le « coup froid du Nord ». Lors des Régionales, Mélenchon ruine la candidature unique de la gauche derrière le patron des communistes en se ralliant d’emblée aux écologistes. Mélenchon contraint ainsi Roussel à accepter le leadership écologiste. Le patron des communistes perd ainsi une visibilité qu’il cherche. Ce que Mélenchon, dans la perspective de la Présidentielle, a bien compris. Le député du Nord ne l’oubliera plus dans ses prières laïques. 

Fabien Roussel et le PCF sont à la recherche d’une identité sur les ruines du communisme. Ils construisent pour la Présidentielle une offre « communiste gauloise », lointain souvenir du « manifeste de Champigny » en 68 cher à Georges Marchais. Et ceci en rupture avec le communisme « urbain » qui avait suscité un moment d’intérêt aux européennes. Le PCF espère ainsi profiter du logiciel d’un Printemps Républicain rallié avec Manuel Valls à Emmanuel Macron. Succès médiatique et sondagier instantané réduit à néant par le vote utile pour Jean-Luc Mélenchon. 

Le réflexe d’appareils « sauver le groupe communiste » contraint le parti de la place du Colonel Fabien à accepter, à contrecœur et en traînant les pieds, l’accord Nupes. Le PC se transforme en poil à gratter de la France insoumise. 

Les Radicaux eux ont, un temps, rejoint les frères ennemis valoisiens dans le soutien à Macron puis ont quitté ce dernier, se tenant sur l’Aventin de la gauche. Le vieux parti républicain refuse de s’engager devant la division de la gauche, puis jette son dévolu sur une ancienne radicale de gauche : Christiane Taubira. Les déclarations de cette dernière sur la covid-19, les outre-mer et la laïcité ont raison de cette escapade. Les Radicaux retirent leur soutien à l’ancienne ministre et condamnent sa candidature. 

Comment voulez-vous que ce qui reste du peuple de gauche se retrouve dans ce capharnaüm ?

L’explosion de la planète « gauche réaliste » a provoqué une pluie de météorites. C’est la grande dispersion.  

Dans une quasi-panique post-Présidentielle, ce qui reste de la gauche qui a gouverné donne à Mélenchon le brevet de la gauche qui gouverne. Il rafle au passage le leadership ponctuel de cette gauche aux abois.

Passé l’élection législative, cette alliance de circonstance ne peut donc tenir.

Mais ce n’est pas la seule raison. 

3) « Et puis la Gauche subit un mirage stratégique » 

La Gauche est sens dessus dessous. Elle vit dans la mémoire de son hégémonie culturelle. Elle en a les réflexes mais plus le rapport de force. Elle est aveuglée devant la question stratégique : briser l’hégémonie idéologique et politique du nouveau clivage nationalisme d’exclusion et libéralisme. C’est la deuxième fois que ces deux lignes se qualifient pour le 2nd tour de la Présidentielle. Ce n’est pas rien. Ils sous-tendent le paysage politique. 

Pour créer une nouvelle offre capable de s’imposer au binôme nationalisme - libéraux, il faut construire un nouvel imaginaire. J’allais écrire un « projet de société ». On ne peut le faire avec des concepts des années 80 forgés dans les années 60. 

Il faut tordre le cou à la dialectique gauche d’interpellation et gauche de gouvernement. Il faut une gauche de transformation responsable. Il faut, tout autant, tordre le cou au truisme stratégique de LFI : la France politique est structurée en trois pôles. La Nupes serait le 3e pilier aux côtés de Marine le Pen et d’Emmanuel Macron. 

C’est un leurre, malheureusement, qui évite de penser l’ampleur de la bataille et l’enferme dans un coin de l’échiquier politique : ce qui veut dire ne pesant pas ou peu sur le pays réel mais mettant la gauche hors du vrai débat. Par exemple, la gauche a été totalement absente du soutien au peuple Ukrainien et la dénonciation de l’agression impérialiste de la Russie.

Elle fait l’impasse sur les raisons de l’abstentionnisme et accessoirement sur la fuite d’une partie de l’électorat de gauche chez Macron. Elle subordonne la victoire de la gauche à l’irruption du peuple. Les Gilets jaunes ont surgi, sans pour autant reconnaître la gauche. C’est le moins que l’on puisse dire.

Mais la gauche pouvait l’emporter aux législatives. En campant sur un pôle de radicalité, elle permet au deuxième tour l’union de rejet et construit sa défaite ; la France insoumise raflant au passage un groupe parlementaire conséquent confortant « son leadership ».

Nous ne sommes pas sous le régime de la proportionnelle. Au scrutin uninominal à deux tours, la droite, les macronistes et l’extrême-droite font barrage à une Nupes sous pavillon mélenchoniste. Et ceci d’autant que 50 % des Français ne votent pas, même dans les quartiers populaires malgré le programme radical de la Nupes. 

Quand on veut faire la révolution par les urnes comme le propose le leader de la France insoumise, c’est déjà un souci. Mais quand on veut faire accéder Mélenchon à Matignon, c’est un vrai problème. 

En ce mois de mai 2022, la gauche en miettes, plus radicale que gouvernementale, veut aduler à ce qu’elle a brûlé : Jean-Luc Mélenchon. 

Profitant du vote utile à la Présidentielle qui cherche à qualifier au deuxième tour la gauche quelle qu’elle soit ; et fort d’une volonté farouche de cette même gauche de rééquilibrer un pouvoir macronien sûr de lui-même, Jean-Luc Mélenchon propose un « élisez-moi premier ministre ». Il y croit peu au départ. Il s’agit surtout d’éviter la débandade qu’il a connue aux législatives de 2017. C’est une tentative de maintenir le vote utile. Même si le contact secret avec Olivier Faure et son offre d’une alliance aux écologistes lui paraît être prometteur. 

La presse s’emballe, la gauche se presse. C’est le moment metaverse de la gauche ... Elle se voit virtuellement gagner. 

Dans une France désabusée et impavide devant ce deuxième tour aux airs du déjà-vu, l’affaire prend tournure. Tout le monde voit Mélenchon 1er ministre. La France politique s’amuse sur les plateaux télé, chez les sondeurs, à la une de Libé.

Mélenchon exige un accord sans conditions à une gauche qui a déjà troqué le drapeau rouge pour le blanc. Elle a son slogan : « Sauvons les meubles ».

La question n’est donc pas l’union mais la reddition.

L’axe stratégique de celle-ci tient dans la certitude que la radicalité entraîne le peuple dans le grand chambardement. Il n’en est rien ...Les législatives en sont la preuve. A part Mélenchon qui a constaté qu’elles étaient décevantes, personne n’a expliqué pourquoi. 

Pourtant Mélenchon et les leaders de la gauche persistent et signent : la Nupes « for ever » ... Hors de la Nupes, point de salut.

L’ex-député des Bouches du Rhône, le 11 juillet dans une conférence de presse, appelle à une marche en septembre et jette les bases d’une alliance aux européennes. Il estime, sans être contredit, avec des accents mitterrandiens « la clé de voûte de la Nupes, c’est la désobéissance aux traités ». Comment ? C’est secondaire - la rupture est là : c’est, évidemment, pour le leader de la France insoumise la base de la « rupture avec le libéralisme et la marche à la révolution par les urnes''. Cela devrait surtout marquer l’acte final de la Nupes.

 

Demain publication de la suite du chapitre 5 du texte « Où va la gauche » : pourquoi les européennes vont marquer la fin de la NUPES ?