Jean-Christophe Cambadélis, François Rebsamen et Patrice Bergougnoux demandent une réorganisation de la police nationale pour répondre au malaise grandissant dans la profession.

 
Le chef de la police nationale, Eric Morvan, a annoncé début janvier qu'il quittait ses fonctions, faisant valoir ses droits à la retraite. Selon l'ex-patron du PS Jean-Christophe Cambadélis, l'ancien ministre de l'Intérieur et maire de Dijon François Rebsamen et le socialiste Patrice Bergougnoux qui a dirigé la police nationale de 199 à 2002 avant d'entrer en politique, cette démission "est un indice révélateur du malaise persistant ressenti par le monde policier". Ils s'interrogent notamment sur le livre blanc de la sécurité intérieure annoncé ou encore sur la loi de programmation pluriannuelle à venir. Voici leur tribune :
 
"La récente démission du directeur général de la Police nationale est un indice révélateur du malaise persistant ressenti par le monde policier. Il s'étend à tous les secteurs de l'institution et affecte les gros bataillons de la sécurité publique comme les équipes spécialisées de la police judiciaire (PJ) ou les brigades, les compagnies et les commissariats.
 
Des missions souvent mal définies, des réformes mal conçues, des suppressions incompréhensibles d'effectifs...
 
De nombreux facteurs sont à l'origine de cette inquiétante situation : des missions souvent mal définies, des procédures pénales lourdes, des réformes mal conçues, des suppressions incompréhensibles d'effectifs, une mobilisation antiterroriste et un suremploi quasi permanent, une confrontation à la violence des 'black blocs' lors des manifestations et à celle des bandes, une vétusté des équipements et un sentiment d'abandon et d'absence de reconnaissance des policiers.
 
L'annonce d'un livre blanc de la sécurité intérieure et d'une loi de programmation pluriannuelle interroge : cette promesse repose-t-elle sur une réelle volonté politique nécessaire à toute réforme d'envergure? La Police nationale n'en a connu qu'une fois les effets bénéfiques, lorsque Pierre Joxe, ministre de l'Intérieur, fit voter en 1984 une loi de modernisation assortie d'un plan quinquennal (1985-1990) d'équipements et de moyens.
Selon nous, l'objectif est aujourd'hui de mettre en place un dispositif simplifié, de mieux former les agents et de leur donner des moyens innovants pour combattre les réseaux du terrorisme et les trafics de stupéfiants comme les multinationales aux ressources financières illimitées. Ils doivent aussi pouvoir maintenir l'ordre public face à la violence des extrémistes et assurer, en priorité, la sécurité des citoyens face aux violences du quotidien.
 
La fragmentation des services de police conduit à une déperdition des crédits et des effectifs
 
L'organisation de la police se caractérise par une fragmentation en directions actives aux niveaux central et territorial. Ce format a l'avantage de spécialiser les personnels, mais le défaut de fonctionner en tuyau d'orgue ou par filières cloisonnées ; le partage de l'information est rendu difficile, et la cohérence des actions stratégiques, diluée.
Des angles morts se sont formés, conduisant au traitement déficient de la délinquance et de la criminalité. Des doublons sont apparus. Et la fragmentation des services de police conduit à une déperdition des crédits et des effectifs. Enfin, la complexité de cette organisation empêche les policiers de prendre part à un projet commun.
Il est impératif de conjuguer cohérence stratégique, efficacité opérationnelle, lisibilité interne et externe. La police doit viser le regroupement autour de ses missions fondamentales et être placée sous l'autorité d'une direction unifiée et renforcée. Toutes les entités y seraient regroupées en pôles opérationnels : sécurité publique et force d'intervention, PJ et renseignement criminel, surveillance des frontières et contrôle de l'immigration, renseignement (Direction générale de la sécurité intérieure, Service du renseignement territorial et effectifs de la préfecture de police chargés de la lutte antiterroriste), direction centrale des CRS. S'y ajouterait une direction des affaires internationales mutualisée avec la gendarmerie.
 
La police doit être placée sous l'autorité d'une direction unifiée et renforcée
 
Au niveau central, le directeur général s'appuierait sur un adjoint opérationnel garant du respect des principes républicains lors des opérations de maintien de l'ordre, de la préparation des grands événements et de l'emploi des forces mobiles. Au niveau territorial, un directeur unique aurait autorité dans chaque département et chaque Région sur les services. Une expérimentation de ce type a été lancée en juillet 2019 outre-mer. Il faut la généraliser, car elle donne à ce nouveau chef de police les moyens d'être un véritable manager de la sécurité, capable d'élaborer une stratégie adaptée aux besoins de son territoire, d'y affecter les moyens nécessaires et de coordonner l'action des autres partenaires.
 
Cette structuration pourrait contribuer à apaiser le malaise policier. Le risque inhérent à tout grand chantier n'est rien à côté du bienfait d'une police qui retrouve confiance en elle-même et regagne le cœur des citoyens."
 
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