Opposés à l’alliance de leur parti avec La France insoumise, des élus socialistes tentent de se rassembler en vue des prochaines élections

Sandrine Cassini

A quatre ans de la prochaine élection présidentielle, les grandes manœuvres ont déjà commencé au sein de la gauche anti-Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). Laquelle rassemble principalement des élus socialistes, opposés à l’alliance de leur parti avec La France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon. De la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, à l’ex-premier ministre Bernard Cazeneuve, en passant par le maire de Montpellier, Michaël Delafosse, ou François Hollande, tous font le pari qu’un espace important va se dégager au centre gauche avec la fin de l’ère Macron, et se mettent en ordre de marche.

Samedi 13 mai, l’ancien premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Jean-Christophe Cambadélis organise une journée de travail à Paris, réunissant des personnalités politiques et des think tanks ou clubs sociaux-démocrates. Une trentaine d’orateurs interviendront sur scène autour de trois thèmes : la crise démocratique, sociale et écologique. Le lieu choisi – une salle annexe au sein du siège de la CFDT – fait office de symbole à l’heure où certains voient dans l’ex-patron du syndicat réformiste, Laurent Berger, le prochain candidat d’une gauche « réaliste » à la présidentielle.

« J’accélère car il faut ouvrir une perspective, un espoir », justifie M. Cambadélis, qui ambitionne de présenter un « programme fondamental » en septembre. « Cela permet de coaliser les forces », se félicite Guillaume Lacroix, le président du Parti radical de gauche (PRG).

Cazeneuve « est sorti du bois »

Le colloque de samedi n’est que le premier d’une série d’événements que chacun a conçus à sa mesure. Début juin, le premier secrétaire délégué du PS, Nicolas Mayer-Rossignol, organise à Montpellier, avec Michaël Delafosse, des rencontres pour évoquer « l’unité de la gauche ». Parmi les convives, Carole Delga et la maire de Paris, Anne Hidalgo, toutes deux vues comme des candidates potentielles en 2027. Les quatre ténors socialistes ont en commun d’avoir bataillé contre le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, lors du congrès de Marseille, en janvier, contribuant à fracturer le PS.

L’autre branche dissidente du parti, conduite par la maire de Vaulx-en-Velin (Rhône), Hélène Geoffroy, derrière laquelle se sont rangés les partisans de François Hollande, tiendra son université d’été à Lyon début juillet.

Mais le point d’orgue de cette séquence interviendra le 10 juin avec le lancement du mouvement de Bernard Cazeneuve, nommé La Convention, première ébauche d’une formation politique conçue pour la prochaine présidentielle. L’ancien ministre socialiste pourrait réunir « entre 1 500 et 2 000 personnes », évalue Guillaume Lacroix, qui a mis le PRG au service de celui qui est depuis devenu avocat.

« C’est un type cultivé, complexe. Heureusement qu’il est sorti du bois », se félicite l’ancien député socialiste de Gironde Gilles Savary, jugeant que ce presque prétendant à la fonction suprême est « le seul, avec Jean-Yves Le Drian », à être « sorti indemne » du mandat de François Hollande. Gilles Savary avait fondé Territoires de progrès, censé structurer l’aile gauche du parti d’Emmanuel Macron. Depuis, il a rompu avec cette formation politique absorbée par Renaissance. Son ralliement à un projet de rénovation de la social-démocratie pourrait symboliser l’appétit potentiel de certains déçus du macronisme pour une gauche anti-Nupes.

Sauf que, dans cette gauche archipellisée, l’heure n’est pas au rassemblement mais à la méfiance. Ses principales figures se regardent en chien de faïence, épiant les ambitions d’autrui. Conviés par Jean-Christophe Cambadélis, François Hollande, Carole Delga, Michaël Delafosse, Stéphane Le Foll ou Bernard Cazeneuve n’ont souhaité intervenir qu’en vidéo, alors que la plupart avaient accepté son invitation à dîner ces dernières semaines. L’activisme de Cambadélis ne rassure pas forcément. M. Savary le soupçonne de vouloir « capter tout le monde » pour ensuite aller négocier le ralliement d’un courant à M. Cazeneuve. « Je n’ai plus le courage pour les vieux réflexes du PS », explique M. Savary, qui a refusé de participer au colloque de samedi.

Une liste PRG aux européennes

Les prochaines échéances électorales forceront-elles ce petit monde à se mettre autour d’une table ? « Mon idée, c’est que ce pôle de l’autre gauche soit capable de présenter des candidats à chaque élection », avance M. Cambadélis. Et ce afin d’éviter d’être mis devant le fait accompli en 2027, avec une candidature unique de la Nupes, sous l’égide des « insoumis ». Guillaume Lacroix a pris les devants : il a décidé de monter une liste aux élections européennes de 2024, et rêve de voir Bernard Cazeneuve en prendre la tête. « Il s’exprimera sur le sujet le 10 juin », confie le président du PRG.

Même si l’ex-ministre de l’intérieur lui faisait défaut, le Parti radical mènera quand même campagne, alors qu’en 2019, il avait rallié la candidature de Raphaël Glucksmann. « La donne a changé. Notre ligne politique n’est plus représentée »,estime Guillaume Lacroix, en référence aux discussions autour d’une liste unitaire de la Nupes. « Il y a un espace majeur aux européennes pour une gauche républicaine et sociale », veut-il croire.

Cette perspective donne des sueurs froides à certains socialistes. « Si on ne porte pas nos valeurs aux européennes, il y a le risque d’une autre liste. Nous ne le souhaitons pas », met en garde Patrick Mennucci, partisan d’Hélène Geoffroy. Pour Nicolas Mayer-Rossignol, une alliance avec LFI « serait une ligne rouge ». Olivier Faure, de son côté, envisage cette possibilité. Dans une tribune publiée le 9 mai dans Le Monde , il juge les coalitions « possibles, sûrement souhaitables » à condition d’être guidées « par le projet ». La porte est donc ouverte.