TRIBUNE. L’ancien premier secrétaire du Parti socialiste Jean-Christophe Cambadélis répond dans une tribune à Pierre Jouvet, secrétaire général du PS, qui se disait prêt dans nos colonnes à « discuter d’une liste Nupes aux européennes ».
Ancien premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis répond à la direction actuelle du PS, qui se dit ouverte à l’idée d’une liste estampillée Nupes aux élections européennes. Il prône une liste unie des sociaux-démocrates européens.
Faut-il une liste Nupes aux élections européennes, comme le suggère la direction du Parti socialiste dans une interview au JDD, mais aussi La France insoumise sous la plume de son coordinateur Manuel Bompard ? Ou une liste unie des sociaux-démocrates européens ?
Dans toute l’Europe, le national populisme d’exclusion, c’est-à-dire l’extrême droite, est en hausse, stimulée par l’inflation, le précariat, la guerre et les flux migratoires : en Finlande, en Suède, dans les pays baltes, en Pologne, en Hongrie, en Autriche, mais aussi en Espagne, en Allemagne, aux Pays-Bas, au Danemark et en France, etc.
Le risque des prochaines élections européennes est de voir une « vague nationaliste » déferler sur le continent. Elle pèsera sur les solutions au Parlement européen, à la Commission européenne. La question n’est donc pas le symbole de battre le Rassemblement national en France, mais de tout faire pour battre l’extrême droite en Europe. Une liste Nupes, vu son ambivalence, ne garantit en rien l’objectif franco-français, mais affaiblit la réponse européenne.
Qui peut relever le défi européen ?
Le PPE ? Les conservateurs de droite du Parti populaire européen dirigent depuis des années l’Europe. Ils ont échoué à endiguer la montée de l’extrême droite, la désaffection vis-à-vis de l’Europe. Cela est dû à leur porosité avec l’extrême droite sur les thématiques de l’immigration, de l’identité, de l’insécurité, mais aussi à leur double adhésion au verrou du libéralisme économique, dit ordo libéralisme, et à une politique budgétaire incapable de relancer l’économie et de faire face à l’inflation.
Les libéraux ? Les élus Renaissance macronistes ont rejoint ce groupe après avoir fait croire qu’ils réorienteraient l’Europe. Ils n’ont pesé dans aucun débat, se contentant de suivre la droite.
Le PSE ? Les sociaux-démocrates sont les seuls à avoir la masse critique, étant le deuxième groupe au Parlement, pour faire face. Mais ils sont encore trop faibles pour unir les gauches et les écologistes. L’enjeu pour le PS est davantage de muscler l’offre sociale-démocrate en Europe que de rêver que LFI abandonne au détour d’une phrase alambiquée son souverainisme de gauche. On peut par contre comprendre l’intérêt de Jean-Luc Mélenchon d’éviter de se compter en France, ce qui remettrait les compteurs à zéro pour la suite.
« Cette proposition affaiblit le bloc des sociaux-démocrates qui est le seul à gauche en Europe à pouvoir être majoritaire »
L’extrême gauche européenne ne peut unir les Européens en se contentant de la dénoncer : trop souverainiste face aux défis des empires américain et chinois, trop floue sur la guerre en Ukraine, trop irréaliste sur le plan économique, trop laxiste sur les domaines régaliens de la sécurité, de la défense, de l’immigration.
Faut-il dans ces conditions courir derrière la chimère d’une union de la Nupes ?
Le paradoxe de cette proposition est qu’elle a l’apparence d’une solution électorale franco-française, alors que tout le monde sait qu’elle est impraticable en France, inapplicable en Europe face au danger nationaliste. Elle affaiblit le bloc des sociaux-démocrates qui est le seul à gauche en Europe à pouvoir être majoritaire ou à pouvoir constituer une majorité à gauche.
« Ce choix enferme le PS dans un cycle prétendument unitaire, mais surtout entièrement subordonné à LFI »
Ce choix stratégique est une catastrophe tant sur le plan de l’enjeu européen dans un moment décisif que sur le plan de la situation française. Il enferme le PS, la gauche de transformation responsable, cette nouvelle gauche de gouvernement ô combien nécessaire, dans un cycle prétendument unitaire : européennes, municipales, présidentielle, mais surtout entièrement subordonné à La France insoumise. Et cette équation n’est pas gagnante, comme nous l’avons vu lors des dernières législatives. La construction d’une nouvelle union gagnante ne passe pas par une union de façade aux européennes. Bien au contraire.
Cette tactique affaiblit même la « prétention » de refonder l’union, nouvellement portée par la direction du PS.
On ne peut réclamer un acte II de la Nupes en commençant par se saborder sur ce que la direction du PS déclare elle-même être l’ADN des socialistes : l’Europe, comme cela a été le cas lors des législatives.
Pendant six mois, les socialistes sont conviés à dialoguer avec La France insoumise, induisant qu’ils ont peu de divergences en ce domaine, minimisant ainsi leur offre électorale et les sociaux-démocrates européens. Ils vont perdre un temps précieux, au lieu d’installer la solution sociale-démocrate en Europe. Celle-ci leur serait pourtant utile, autant pour offrir une solution en Europe qu’en France, vu la crise de désagrégation qu’elle traverse.
Enfin, si le PS s’intégrait à la Nupes sur l’Europe, une liste de la gauche européenne verrait immédiatement le jour, emportant 50 % du PS.
Dans tous les cas, cette stratégie n’est qu’un gribouillage.
À court d’arguments, on nous dit : « On va faire un mauvais score, alors planquons-nous derrière d’autres » (La France insoumise, les écologistes, des personnalités… c’est au choix). D’abord, ce n’est pas certain, l’élection législative en Ariège démontre le contraire. Seule une gauche responsable peut capter le reflux du macronisme à gauche et surtout l’abstentionnisme. L’idée d’une majorité sociale-démocrate portant « l’Europe des solutions » est crédible. Et puis, un peu de courage ne nuit pas à ceux qui veulent faire face aux défis de l’extrême droite, de l’Europe et… de la France.
Sur le site du JDD