LETTRE OUVERTE - Pour une « conférence nationale tripartite patronat-syndicats-gouvernement.

La méthode Macron-Borne en matière de salaires ? Une inertie autoritaire. Chacun voyait bien, au printemps dernier, que le paysage social changeait radicalement.

Pour la première fois depuis au moins quarante ans, l’inflation revenait en force, amputant de plusieurs points le pouvoir d’achat des salariés français qui forment la grande majorité de la population. Le salaire réel progressait jusque-là péniblement de 1 % par an en moyenne ; en un an, à cause de l’inflation liée à la guerre en Ukraine qui a entraîné une augmentation du coût de l’énergie et de certaines matières premières, il aurait reculé de sept années si rien n’avait été fait.

Plutôt que d’affronter l’obstacle avec une vision d’ensemble, le gouvernement a laissé le patronat négocier dans certains secteurs uniquement, tout en prodiguant des encouragements verbaux à la hausse des salaires. Puis, voyant que la réaction sociale risquait de contrecarrer son attentisme, notamment dans les raffineries, il a raidi son attitude et recouru à la réquisition. Inertie autoritaire…

Il y a pourtant une autre voie, plus sociale, plus démocratique, plus rationnelle : celle de la social-démocratie contemporaine. Plutôt que de jouer le laisser-faire salarial, en vertu d’un libéralisme qui reste la boussole de la macronie, il faut marquer solennellement l’entrée dans une nouvelle ère en convoquant une conférence nationale tripartite – patronat-syndicats-gouvernement - pour définir une ligne d’action commune face à l’inflation et tâcher de répondre aux questions qui se posent désormais.

Il faut marquer solennellement l’entrée dans une nouvelle ère en convoquant une conférence nationale tripartite.

Par quel moyen compenser les pertes de pouvoir d’achat ? Comment limiter les disparités entre grands groupes prospères qui sont en mesure de redistribuer à leurs salariés tout en stabilisant leurs prix et en supportant les hausses de taux d’intérêt et PME qui le sont nettement moins ? Faut-il instaurer, ou non, une forme d’échelle mobile des salaires, plus juste socialement mais qui risque de déclencher une spirale inflationniste, les hausses de salaires étant répercutées dans les prix et ainsi de suite ? Faut-il adopter une politique monétaire restrictive pour calmer la hausse des prix comme vient de le faire la Banque centrale européenne en augmentant de 1,25 % ses taux directeurs, au risque de provoquer une récession et une hausse brutale du chômage alors que l’inflation a une origine exogène à notre économie (guerre en Ukraine) ? Etc.

Dans cette discussion, l’État doit indiquer sa stratégie propre, en précisant l’évolution qu’il compte imprimer à la rémunération de ses propres agents, en un mot, montrer l’exemple. Cette conférence nationale offre l’occasion d’un exercice de lucidité collective et de consultation démocratique des « corps intermédiaires », bien plus concret que le vaste et fumeux « grand débat » organisé à la suite du mouvement des gilets jaunes.

L’État doit indiquer sa stratégie propre, en un mot, montrer l’exemple.

Le patronat sera réticent ou fermé, certains syndicats claqueront la porte ? Peut-être. Mais cette conférence traitera d’une question sensible et immédiate qui touche tous les citoyens ou presque ; elle élèvera la conscience collective et, à tout le moins, popularisera un diagnostic commun, à défaut de trouver un consensus. Ou bien – pourquoi pas ? - aboutira à un compromis à la fois réaliste et favorable aux salariés les plus modestes. Au lieu de quoi, on assiste à un mauvais théâtre où les coups de menton du gouvernement répondent aux incantations de la gauche radicale, où la grève menée par la CGT risque désormais de se terminer dans l’amertume, tandis que le gouvernement se targuera d’avoir maintenu « l’autorité de l’État ».

La méthode sociale-démocrate a été maintes fois utilisée en Europe, souvent avec succès, ou bien sous le quinquennat Hollande avec Jean-Marc Ayrault, par deux fois au moins, et avec des résultats tangibles. Elle consiste à faire vivre la démocratie sociale, à faire fond sur la responsabilité des corps intermédiaires, à donner aux salariés en lutte un débouché national. Il est encore temps de réagir et de réunir patronat et syndicats autour d’une table de négociation. Et il est aussi impératif de s’accorder sur une règle simple : quand un accord a été signe par des syndicats majoritaires dans une entreprise il est du sens de la responsabilité des autres, minoritaires, de le respecter.

Mardi dernier, l’Élysée commémorait le quarantième anniversaire de la mort de Pierre Mendès France, qui croyait lui aussi à la démocratie sociale et à l’intelligence collective. La présidence a maintenant la possibilité de lui rendre un réel hommage, en allant, cette fois, au-delà du symbole.

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