« Je travaille au réarmement politique de la Gauche »

A l’occasion de la publication de son troisième mémorandum « Nouveau destin de la France dans le Monde et en Europe », Jean-Christophe Cambadélis, fondateur du réseau Nouvelle société, répond aux questions d’Arnaud Benedetti.

Revue Politique et Parlementaire – Vous publiez ce vendredi un mémorandum « Nouveau destin de la France dans le Monde et en Europe ». Comment s’est construite cette initiative ? Quels sont les objectifs et les grandes lignes de ce texte ?

Jean-Christophe Cambadélis – Il s’agit du 3ème Mémorandum que je publie après l’Etat impartial et le nouveau contrat social et écologique. J’avais publié, il y a un an, 10 thèses pour une Nouvelle société. Mon but est de bâtir un corpus pour une Gauche responsable. Je crois nécessaire de rétablir un vrai débat gauche/droite. La situation actuelle où le débat est entre un centre sans assise dans le pays autre que l’exercice du pouvoir et les populistes, particulièrement le national populisme d’extrême-droite, est extrêmement dangereuse pour la République. Dès 2017, j’ai pronostiqué le techno-bonapartisme du président de la République. La présidence totale et libérale, loin d’assécher l’extrême droite, allait lui paver la voie. Mais en même temps, la Gauche divisée et en panne d’offre politique, crédible et nouvelle, la condamne à regarder ce match sur le banc de touche. Voilà pourquoi, je travaille via ces mémorandums au réarmement politique de la Gauche. Ce troisième volet porte sur la politique internationale et européenne. Je préconise une France d’influence plutôt qu’une France première puissance, ce qui est hors de portée, ou une France dans le ventre mou des Nations se refusant à tutoyer l’Histoire. Il s’ensuit une série de propositions pour étayer cette vision.  

RPP – Estimez-vous justement que sous Emmanuel Macron la voix de la France à l’extérieur de ses frontières n’est plus audible ? Qu’elle le serait moins que sous ses prédécesseurs ? 

Jean-Christophe Cambadélis – Le problème n’est pas d’être audible mais d’être efficace. Il serait facile de pointer les erreurs de l’exécutif vis-à-vis de Trump que le Président pensait arraisonner ou vis-à-vis de Poutine qu’il pensait dompter ou vis-à-vis des Chinois qu’il voulait amadouer, sans oublier le Liban qu’il voulait redresser. Mais mon propos n’est pas d’accabler le Président.

"Dans le monde apolaire qui règne sur la planète, la France ne peut faire entendre sa voix ou atteindre ce qu’elle veut que si elle crée des coalitions sur ses objectifs."

La manière dont nous avons été isolés lors du discours du Président après l’odieux crime de Samuel Paty, est pour moi l’illustration des limites de la France première puissance. Et ses prédécesseurs étaient confrontés aux mêmes problèmes. 

RPP – Lorsque le Président plaide pour une souveraineté européenne, il se fait le promoteur d’une idée que la social-démocratie ne peut pas ne pas partager ? 

Jean-Christophe Cambadélis – Je ne sais s’il faut évoquer une Europe souveraine ce qui induirait qu’elle est Nation, mais je proposerai une Europe coopérative. Là encore, des objectifs qui mettent en commun des Nations pour exercer la puissance. Et c’est possible, voire indispensable dans la sortie de crise sanitaire, la lutte contre le terrorisme, la question climatique ou la révolution de l’immatériel. J’évoque aussi l’Euro-Méditerranée indispensable vis-à-vis de l’Afrique, futur relais de croissance du monde. 

RPP – L’une des lignes-forces de la crise sanitaire que nous traversons n’est-ce pas le risque d’assister à un phénomène de repli vers les espaces nationaux et parallèlement à une montée en puissance de la Chine ?

Jean-Christophe Cambadélis – Vous avez raison, ce risque existe. Je le pense. Il  existe pourtant une voie entre le repli et l’abandon dans le marché planétaire. Le souverainisme, le nationalisme a un coût comme le libre-échange. Je préconise dans ce Mémorandum une troisième voie, celle du juste échange, de la réciprocité. Je ne crois pas que nous pouvons nous couper du monde où décréter la démondialisation. C’est une pensée magique qui n’a pas de débouchés pratiques. Mais on ne peut non plus se satisfaire de l’état actuel du monde

RPP – Comment la Gauche, la Gauche de gouvernement à laquelle il est parfois reproché d’avoir accompagné la globalisation libérale bien plus que d’avoir tenté de la réguler, peut-elle concilier mondialisation et protection ? 

Jean-Christophe Cambadélis – Avec le juste échange qui met au cœur les normes sociales, écologiques, voire éthiques, nous avons la possibilité de grouper des Nations en Europe qui partagent nos buts. Il y a une fenêtre de tir si vous me pardonnez l’expression. Le retrait du Royaume-Uni, le retournement allemand sur les déficits et les difficultés qui vont advenir avec la fin de l’ère Merkel, donnent à la France une carte à jouer non pour se substituer mais pour grouper autour de ses idées.  

RPP – Quel regard portez-vous à un an de l’élection présidentielle sur l’état de la Gauche en France et comment peut-elle redevenir une alternative crédible ?

Jean-Christophe Cambadélis – La Gauche est à ce jour éliminée du second tour de la présidentielle parce qu’elle s’est enfermée dans la présidentielle. Jean-Luc Mélenchon croit possible de réitérer 2017, alors que les conditions ne sont plus les mêmes. Les écologistes veulent passer devant les socialistes pour remodeler le paysage à leurs profits. Les communistes ne veulent pas disparaître. Et les socialistes attendent la décision d’Anne Hidalgo sans se donner les moyens de l’imposer. Une fois éliminée, la Gauche continuera sa descente aux enfers lors des législatives car quatre listes par circonscription, c’est l’élimination assurée pour tout le monde. Je pense qu’il faut faire à l’envers : travailler un accord législatif en confrontant les points de vue et en répartissant les circonscriptions. Je ne crois pas que les partis renonceront à leurs candidats à la présidentielle. C’est dommage mais c’est ainsi.

"Je préconise donc soit de se mettre en ordre de marche derrière Anne Hidalgo, soit que le pôle de la Gauche responsable organise une primaire à l’automne."

Le peuple de Gauche sûr d’une union aux législatives se porterait à la présidentielle sur le candidat ou la candidate le mieux à même de diriger le pays et de gagner.

Jean-Christophe Cambadélis
Ancien premier Secrétaire du Parti socialiste
Fondateur du réseau Nouvelle Société
Propos recueillis par Arnaud Benedetti

 

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