Poutine a sous-estimé les démocraties
Son plan minutieusement préparé, pour tout dire ruminer, depuis l’invasion de la Crimée et la présence au Donbass n’a pas intégré la réplique des démocraties.
Certes, Poutine a utilisé l’engagement, et non pas un traité de Backer à Gorbatchev, de ne pas chercher à faire entrer les pays d’Europe centrale dans l’OTAN. Mais c’est l’effondrement de l’URSS et du pacte de Varsovie qui a modifié la donne.
Certes, Poutine a vu, comme nous l’avons déjà expliqué dans ces colonnes, le retrait britannique de l’Europe, la coalition en Allemagne à la suite du retrait de Merkel, l’élection en France avec une extrême-droite à plus de 40 % et une extrême gauche à 10 % ; tous favorables à la vision du Kremlin.
Certes, il avait vu les États-Unis confrontés à plusieurs fronts : la marche de l’Iran à l’arme nucléaire ; le même mouvement en Corée du nord ; la mise en cause par le président français de l’OTAN ; enfin, la menace de Taïwan par la Chine et la contestation de l’ordre mondial de l’oncle SAM avec sa nouvelle route de la soie.
Certes, il avait minutieusement préparé son affaire avec : le soutien à l’armée, la modernisation de celle-ci, la réduction des oppositions en Russie ; "donnant le change" en Syrie tout en sauvant Assad ; la séduction des artistes, sportifs, politiques ; la demande à ses oligarques d’investir à tout va dans l’énergie, le sport, le transport etc. ; l'intervention dans la politique américaine en déstabilisant Hillary Clinton ou Trump, mais aussi en Europe, grâce à sa puissance numérique ; le réchauffement de l’axe Orthodoxe en Europe et en Russie en théorisant le lien de celle-ci au nom de l’empire byzantin et faisant de son pouvoir le dernier rempart face à l’effondrement de l’Occident chrétien. Patiemment, il implanta un réseau médiatique mondial.Tel le chat avec la souris, il joua mais sans perdre de vue sa proie qui devait le faire entrer dans le panthéon russe, à savoir rétablir une grande Russie pour redonner à cette dernière le statut d’une grande nation. Il se préparait, certain de bondir sur l’Ukraine pour n'en faire qu’une bouchée. La rencontre Poutine-Macron et l’incroyable logorrhée du maître du Kremlin fut la démonstration que le ressort de l’amertume trop longtemps comprimé ne demandait qu’à exploser. Et ce fut l’invasion...
Un Afghanistan économique pour la Russie, telle fut la réponse des démocraties. Elles ne pouvaient intervenir en Ukraine tout à la fois par l’absence de traité. Mais elles redoutaient surtout une guerre mondiale et une opinion peu préparée à mourir pour Kiev. Les démocraties ont donc répliqué sur le terrain de l’économie. En moins de 4 jours, elles ont décrété un blocus russe.
Poutine n’avait pas prévu cette réplique unanime. Ce fut la rançon de la mondialisation dans laquelle est rentrée la Russie depuis la chute de l’URSS et l’effondrement du Parti Communiste de l’Union soviétique quittant le pouvoir.
Non seulement les oligarques furent sanctionnés mais aussi les banques et le commerce expulsés. Poutine a dû sortir « de sa guerre » par deux fois, plaidant pour le maintien de la Russie dans le système SWIFT. Il haussa même le ton pour menacer de l’arme nucléaire. Puis, son porte-parole nous indiqua que « le président Poutine s’occupait de l’économie » démontrant, s’il en était besoin, qu’il n’avait pas anticipé.
Les banques russes se réfugient en désordre dans le système « CIPS » chinois censé faire du yuan une devise de réserve à terme.
Tout à coup, la puissance russe fut privée d’air. Le nœud coulant sur la Russie va se resserrer au fur et à mesure du temps.
Tout est là, le temps. Comme toujours c’est le temps qui est un facteur déterminant dans les guerres.
Poutine doit maintenant faire vite : écraser l’Ukraine ou conclure un cessez-le-feu entérinant une partition de l'Ukraine.
Les bombardements ont pour but de chasser les Ukrainiens d’Ukraine pour affaiblir leur magnifique résistance. Il s’agit aussi de ne pas tout démolir comme à Grozny ou Alep. Car il faudrait après supporter le poids de la réprobation et l’occupation sera coûteuse face à une résistance comme Solidarnosc qui peut tout emporter et même, à terme, son propre pouvoir.
Le but de cette guerre, c’est de briser la volonté de l’Ukraine d’adhérer à l’Europe et l’OTAN pour conjurer un risque et un fantasme d’encerclements militaires. La Russie a toujours eu peur de ses vastes plaines sans obstacles naturels.
Mais Poutine a provoqué un réflexe inattendu : la dépendance au gaz russe de l’Allemagne et de la Hongrie ne peut plus contrarier l’Europe de la défense.
Le « nouveau traité de Versailles », codifié par la rencontre des européens à Versailles le 12 mars 2022, va jeter les bases d’une Europe de la défense. La 3 ème puissance économique mondiale derrière les États-Unis et la Chine va avancer vers son auto-défense. Et après l’étranglement russe, c’est la deuxième conséquence notable de ce début de guerre sur le sol européen.
Le pilier européen de l’OTAN a été souligné de manière allusive dans le discours du président Macron à la nation le 2 mars.
Mais le 3ème enseignement tient au fait que nous allons vivre une déflagration économique. En effet, le conflit va provoquer une augmentation du prix de l’énergie. Et l’économie mondiale va être privée du débouché russe alors que la croissance chinoise ralentit.
Course de vitesse là aussi. Nos économies, déjà très endommagées par la covid-19 vont voir la croissance de rattrapage post-Covid 19 percutées par le blocus russe.
Et c’est ici que se situe le choc de retour comme le président Macron l’a indiqué.
En déclarant qu’il chargeait le premier ministre de préparer un plan de résilience, le président a anticipé mais peut-être pas tout à fait. Si ce plan n’est pas co-décidé par l'État, le parlement, les régions et les syndicats, il sera tôt ou tard l’objet de contestation. Et celle-ci sera d’autant plus violente que la Présidentielle va être escamotée.
Je mets ici, une fois de plus, en garde contre la jonction entre la crise sociale et politique. Elle ne permet pas d’assurer mécaniquement la victoire du second tour. La certitude de nos élites me rappelle celle qu’elles avaient lors du traité constitutionnel européen. « L’état de guerre » est une garantie pour le pouvoir mais cette garantie n’est pas absolue. Elle dépend de l’humeur du pays et des événements : l’abstention peut être forte et le nationalisme d’exclusion est puissant dans notre pays. L’adhésion est à un Macron incarnant la France dans ce conflit, non à Macron comme personne qui a gouverné. En paraphrasant Kantorovitch « il y a là le double corps du roi ». Lequel des deux sera jugé par les Français au moment de l’élection, après peut-être plus d’un mois de conflit ? Tout est là.
Tout cela pour dire que la récession de l’économie mondiale va frapper les démocraties. Si Poutine a stratégiquement déjà perdu, le Monde est ébranlé.