Jamais sous la Ve République un homme n’a, à ce point, monopolisé le pouvoir.
Nos institutions donnent peu de place au Parlement. Son existence est formelle. L’opposition au parlement ne peut que gagner du temps. L’exécutif détient tous les pouvoirs. Et lorsque la majorité est écrasante sans expérience, voire sans parti. Le parlement n’est qu’une chambre d’enregistrement comme c’est le cas aujourd'hui.
Le Sénat n’a pas les moyens institutionnels de ses tentations d’opposition. D’autant que la majorité sénatoriale partage, sur le fond, nombre des décisions du Président de la République.
Le Général de Gaulle avait les communistes, les socialistes, les syndicats, ainsi que toute l’intelligentsia face à lui. Valéry Giscard d’Estaing a dû se confronter à cette opposition renforcée par la montée de la Gauche. François Mitterrand a dû faire face à une presse déchaînée et à une droite très organisée. Jacques Chirac, lui, se vit imposer un quinquennat de cohabitation. Nicolas Sarkozy a dû affronter des oppositions tous azimuts, François Hollande une campagne médiatique sur sa crédibilité et une opposition interne violente avec les « frondeurs ».
Rien de tout cela pour Emmanuel Macron dominant et sans partage. Il n’a donc, face à lui, que la rue et ce n’est pas sain.
Ni les corps intermédiaires marginalisés, ni les syndicats étouffés ne sont en capacité de faire contrepoids .
Et il règne dans la presse une étrange mansuétude au regard de ce que Giscard, Chirac, Sarkozy ou Hollande ont dû subir. Cela s’accompagne d’une sorte de mépris pour les partis et leurs représentants sous forme de commentaires goguenards.
Seule l’affaire Benalla, révélée par le Monde en l’espace d’un été, a donné lieu à une offensive médiatique. Quant aux éditorialistes critiques, ils se comptent sur les doigts d’une main.
Les intellectuels sont dans leurs grandes majorités sans voix. Les artistes sont aux abonnés absents, globalisant leurs critiques, épargnant le Président, se réfugiant dans les actions humanitaires.
De temps à autre le Conseil constitutionnel et particulièrement le Conseil d’État offre une contestation juridique à la toute-puissance de l’exécutif. L’affrontement entre l’exécutif et le Parquet financier soutenu par la Cour de cassation est le seul conflit institutionnel visible.
Cette situation, Emmanuel Macron ne l’a pas créée. Il l’accompagne. Elle est le produit d’institutions inadaptées aux temps nouveaux, d’un effondrement des partis de gouvernement, d’un essoufflement, d’une offre politique datée, voire obsolète, d’un clivage gauche-droite qui s’est estompé au profit d’un centre mort-né.
Emmanuel Macron se trouve propulsé, « à l’insu de son plein gré », à la tête d’un État jacobin à bout de souffle, d’institutions déphasés et sans contrepoids.
Après, son tempérament impulsif, substitutif, sa volonté d’incarner, la verticalité du pouvoir ont fait le reste.
Le Président demande aux directeurs de l’administration centrale une loyauté sans faille, court-circuitant ses Ministres qui n’ont aucune possibilité d’expression.
Le Président ne goûte guère l’opposition interne. Nicolas Hulot, Gérard Collomb et une trentaine de trublions parlementaires s’en sont allés. Édouard Philippe a été évacué à cause d’un soutien sondagier un peu trop visible. Castex lui s’échine à faire profil bas pour laisser toute la lumière au Président…
Jamais la formule du pouvoir personnel n’a été aussi bien portée. D’autant que « les qualités intellectuelles » du Président lui donnent les moyens de sa centralisation.
Le Président a fait du populisme ses faire-valoir. Les régionales ont un peu modifié le registre, en attendant le retour des sondages. Le « pass » sanitaire est devenu la ligne de partage entre « eux » et lui.
« Il n’y a rien entre le peuple et lui -Président- » est son credo pour des raisons donc institutionnelles et politiques mais aussi pour des raisons psychologiques personnelles.
Utilisant la victoire à la présidentielle, largement due aux circonstances. Il impose un « nouveau monde » dont la seule définition est d’être contre les partis et les corps intermédiaires. Il s’est vu ainsi comme le maître du temps, des horloges et des horlogers.
Ses plus proches, amers, lui reprochent de n’écouter personne. On évoque l’ubris. On chuchote à mi-voix un échec à la prochaine Présidentielle et on scrute avec anxiété les scores de Xavier Bertrand ; on se réjouit des divisions de la Gauche ; on rit sous cape des divisions de la droite. Mais personne ne sait de quoi l’avenir sera fait et on redoute le pire.
En attendant, Emmanuel Macron a plus de pouvoirs qu’aucun autre leader dans le monde Occidental.
L’état d’urgence contre le terrorisme puis sanitaire ont renforcé le pouvoir de l’exécutif et donc placé le Président dans la situation d’un monarque sans cours, s’entourant d’un Conseil plutôt que d’assemblées.
Au fond la seule limite du Président est sa propre analyse dans l’acceptation du peuple. Mais son jugement se heurte à sa nature, à sa toute puissance. A l’idée aussi que la rationalité technocratique peut tout.
La France étouffe dans cette relation exclusive et à sens unique.
C’est la raison de cette haine irrationnelle et récidivante vis-à-vis du président de la République.
Et plus nous allons avancer dans la crise sociale plus la rue semble la seule issue à la contestation rampante qui est une des caractéristiques du moment français.
Généralement, les élections, en tout cas les élections Présidentielles encadrent les mouvements sociaux. Il n’est pas interdit de penser que cette fois ce sera l’inverse.
Il faut écouter la demande d’être écouté. Le souverain c’est le peuple. Cela ne passe pas par le tirage au sort de citoyens mais par la refondation de l’équilibre républicain.
Voilà pourquoi nous devons ouvrir une perspective, rebâtir des contre-pouvoirs, nous intéresser à la formulation d’une République impartiale décentralisée, avec un parlement digne de ce nom.
Mais surtout, il faut changer la nature de la présidence. La première rupture est là : il faut passer d’un Président jupitérien omniscient et omnipotent à un Président arbitre à partir d’une feuille de route simple et courte adoptée par les Français.
Lionel Jospin avait esquissé avec son « présider autrement » un pas en ce sens. Malheureusement, la division à gauche a eu raison de cette évolution stratégique. Le quinquennat allait en ce sens mais l’inversion du calendrier (d’abord les présidentielles, puis les législatives) à donner un coup de pouce à l’exécutif qui n’en avait pas besoin.
La constitution de 1958 a instauré un exécutif fort, le parti présidentiel était à ce moment impensable. 1962 a codifié le pouvoir personnel, « le coup d’état permanent » pour reprendre ce que théorisait François Mitterrand.
Il y a aujourd'hui concomitance entre un jacobinisme à bout de souffle, des institutions sans souffles et une démocratie avec un souffle au cœur : « le pouvoir personnel ».
Là réside le mal-être politique français. C’est à cela que la France est d’abord confrontée : une crise politique qui est d’abord une crise de gouvernance et d'efficacité.
Il s’agit moins de changement institutionnel que de changement de pratiques.
Il s’agit d’inventer une nouvelle respiration française moins jacobine, plus respectueuse des Français.
De nos jours, aucun des candidats déclarés à la présidentielle n’est vraiment girondin. Ils sont tous jacobins et ils ont tous en tête la notion d’un Président guide du Président monarque républicain. Ce qui est déphasé dans la situation actuelle.
Il faut rompre avec cette logique et imposer un Président arbitre avec un gouvernement qui gouverne un parlement qui légifère et avec des contre-pouvoirs respectés et écoutés ...
Il faut un nouveau compromis historique entre un état régalien, restauré et des collectivités locales instaurées.
Il faut redonner au parlement le pouvoir de l’initiative avec la fin de l’article 40 en matière budgétaire.
Le temps des pleins pouvoirs est révolu.
Cette modernité s’impose au sommet de l’État, sinon c’est la dialectique de l’ordre et de la rue.