Le bicentenaire de la mort de Napoléon constitue un événement mémoriel qui interpelle le politique. La mémoire de l’Empereur est aujourd’hui, comme elle le fut par le passé, l’objet de débats. Que reste-t-il de son legs ? Quels en sont les enseignements ? Qu’est-ce que cette histoire nous révèle de nos fractures présentes et passées ? Comment les politiques s’approprient ou non cette dernière ? Il nous a semblé utile de les interroger. D’aucuns n’ont pas souhaité répondre, d’autres se sont prêtés à l’exercice. Ce sont leurs contributions que nous livrons à nos lectrices et à nos lecteurs. Un numéro à venir comportant les analyses de quelques-uns des meilleurs spécialistes du sujet sera par ailleurs publié prochainement.

Revue Politique et Parlementaire – Lorsque vous pensez à Napoléon, quels aspects positifs et négatifs vous viennent à l’esprit ?

Jean-Christophe Cambadélis – L’ambivalence napoléonienne tient à la tension entre son action  « terrestre » et le lègue dans les « cieux » de notre histoire  contemporaine.  

Il fut incontestablement le chef d’un Etat autoritaire, guerrier, restaurant les mœurs de la monarchie. Mais il invente la France moderne, consolide la fin de la monarchie (malgré la Restauration), pave le chemin de la République. 

RPP – Comment définiriez-vous le bilan de l’action de Napoléon pour les peuples européens ?

Jean-Christophe Cambadélis – Napoléon veut unifier l’Europe par le sabre pour le bien de sa famille. Mais il ébranle les monarchies européennes, prépare le printemps des peuples pendant la Révolution de 1848. Et donc, il précipite ainsi la constitution des Etats-nations européens. 

RPP – Quels furent, selon vous, ses principales qualités et/ou défauts personnels ?

Jean-Christophe Cambadélis – Un génie militaire dans un esprit militaire ! Toute sa conception de la nation vient de là.  Et ceci pour le meilleur et pour le pire.

RPP – Quelles ont été les mesures prises par Napoléon pour l’Etat, la société française et les arts les plus notables pour vous ?

Jean-Christophe Cambadélis – Napoléon ne lègue pas un type de gouvernement. Car le gouvernement c’est  lui. Par contre, il enracine l’héritage de la Révolution en transformant cet acquis en institution et lois. 

L’organisation administrative de la France et l’esprit des institutions sont perceptibles dans la Constitution de 1958.

"Et ce n’est pas sans poser un problème à la France contemporaine qui étouffe sous le joug d’un jacobinisme rationalisé".

Il faut aussi souligner le Code civil promulgué le 21 mars 1804. C’est à dire le droit des personnes, de la famille, de la propriété, de la transmission des biens et des contrats. Il unifie le droit civil français. Il l’impose en Europe : Belgique, Pays-Bas, Suisse, Luxembourg, Italie, Allemagne. C’est cette chanson de geste napoléonienne  qui est à la base de la vision française de l’Europe : « C’est nous ! Ou l’Europe française ».
 
RPP – Estimez-vous que Napoléon a été le continuateur ou le liquidateur des idéaux et acquis de la Révolution française ?
 
Jean-Christophe Cambadélis – Là encore il y a ambivalence. Il liquide la Révolution par son coup d’Etat, mais il stabilise ses acquis et fait entrer ses principes  dans le droit et l’imaginaire français.  
 
RPP – Quels personnages historiques ou personnalités politiques actuelles sont pour vous dans sa filiation, celle du bonapartisme ?
 
Jean-Christophe Cambadélis – Le bonapartiste est devenu une tradition française : Napoléon III, de Gaulle, voire dans un autre registre Mac Mahon ou Pétain. L’idée d’un homme providentiel est très encré dans l’imaginaire français. Un homme (et précisément un homme et pas une femme à part Jeanne d’Arc) au-dessus des passions et des factions unifiant un peuple dans un destin qu’il incarne.

"Cette continuité de la monarchie par d’autres moyens, est au cœur de nos institutions et la source de la dégénérescence de notre débat public".

RPP – Vous-même, vous retrouvez-vous ou non dans la tradition politique bonapartiste ? Si oui en quoi ?

Jean-Christophe Cambadélis – Pas du tout ! Ma tradition est républicaine parlementaire. Pas de primus inter pares, mais l’art du compromis, de la coalition. Nos héros sont Lamartine, Quinet, Varlin, Gambetta, Hugo, Jaurès, Blum, Mitterrand, Mendès France, etc.

RPP – Estimez-vous que la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon soit plutôt une bonne ou une mauvaise chose ? Pourquoi ?

Jean-Christophe Cambadélis – L’empereur Napoléon et son règne font partie de notre histoire. Et il y a toujours des enseignements à tirer de celle-ci. Il faut aborder cet anniversaire les yeux ouverts et l’esprit aiguisé. Commémorer ne veut pas dire célébrer ! 

RPP – Concernant cette commémoration, pensez-vous que les autorités françaises en font trop, pas assez ou comme il faut ?

Jean-Christophe Cambadélis – Pour l’instant le régime qui se veut, à l’instar de Napoléon, jupitérien n’en a pas trop fait. Il faut dire que la période ne s’y prête pas.

RPP – Selon vous, l’empreinte de Napoléon sur la France est-elle durable ou éphémère ?

Jean-Christophe Cambadélis – J’espère qu’au delà de la marque dans l’histoire nous perdrons la trace de son empreinte.

"Car le renouveau français passe par un nouveau compromis historique entre le jacobinisme et le girondisme, entre l’Etat tout puissant et les collectivités locales".

Et ce n’est pas l’empreinte de Napoléon. 

RPP – Si des activistes déboulonnaient des statues de Napoléon, les comprendriez-vous ou les condamneriez-vous ?

Jean-Christophe Cambadélis – Ce sont les talibans qui font sauter les bouddhas. Ce n’est pas ma culture. Il ne faut pas confondre exercer son droit d’inventaire et les révolutions politiques face à des dictatures. Et on ne juge pas hier avec les lunettes d’aujourd’hui. L’histoire appartient à l’histoire. On doit avoir un esprit critique, sans autodafé, ni déboulonner ! C’est inutile et surtout cela ne règle rien ! Il vaut mieux une mémoire vive qu’un oubli, car déboulonner c’est une amnistie !

Jean-Christophe Cambadélis
Ancien premier Secrétaire du Parti socialiste
Fondateur du réseau Nouvelle Société
Propos recueillis par Arnaud Benedetti